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Voir Counter-Strike avec Paul Arrivé, journaliste (1/3)

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Deux ans et demi après la parution du magazine VaKarM, fin 2021, nous avons décidé de mettre en ligne les principaux articles le composant, histoire d'en faire profiter ceux qui ne l'avaient pas commandé à l'époque. Ne vous étonnez donc pas si ces articles vous disent quelque chose, il est possible que vous les ayez déjà lus sur papier !

Interview réalisée en décembre 2020

Combien de temps ça fait que L’Équipe s’intéresse à l’esport ?

L’Équipe s’intéresse à l’esport depuis avant mon arrivée, 2014-2015 à peu près. Quand ils ont vraiment commencé à faire des choses au début – de mémoire, il y a peut-être eu d’autres choses avant –, c’étaient plutôt des collaborations avec O’Gaming sur de la diffusion de compétitions. Je me rappelle d’un tournoi StarCraft notamment, des choses sur FIFA aussi, avec une compétition organisée sur la chaîne L’Équipe.

Mais surtout, ce qui a été le moment un peu fondateur de l’esport sur L’Équipe, c’est un Équipe Explore, donc un long web-documentaire, qui s’appelle Génération esport. Il est assez connu, il a été fait en 2015 et il a cartonné. C’est un des Explore qui est réputé pour être l’un des plus vus, pas le plus vu mais l’un des plus vus, avec quasiment un million de pages vues, ce qui est énorme. Il a été traduit intégralement sur reddit en anglais alors que c’est un truc qui fait 5 000 signes voire plus. Les gens, même les étrangers, étaient assez surpris, choqués, impressionnés par un tel niveau de production sur un web-documentaire esport. À ce moment-là, ça a convaincu L’Équipe de se dire "on a traité l’esport comme un sport en lui accordant un Explore, peut-être qu’on devrait créer une rubrique". Donc L’Équipe a créé sa rubrique en 2016.

J’ai été recruté à ce moment-là parce que j’ai un petit peu aidé le gars qui a fait L’Équipe Explore, Fabien Mulot, qui n’est plus journaliste à L’Équipe d’ailleurs. Comme je l’ai aidé, que j’étais journaliste moi-même – je sortais d’école et j’avais décidé de me spécialiser dans l’esport –, il a suggéré mon nom pour que je m’occupe de la rubrique, ce que je fais depuis fin 2016. D’abord en tant que pigiste, et depuis mars 2019 en CDI.

 

À la base, tu te destinais à devenir journaliste esport ?

J’ai une formation de journaliste classique. Dans le journalisme, il y a ce qu’on appelle des écoles reconnues par la profession. C’est une liste d’écoles un peu plus "prestigieuses" que les autres. C’est pas tant le mot, mais c’est juste qu’elles sont reconnues, donc tu suis un cursus un peu particulier, "contrôlé" par la profession. J’ai fait une de ces écoles, où tu rentres sur concours, à Grenoble. Je voulais faire journaliste de sport depuis tout gamin. Mes stages, en école et même avant, étaient en rédaction sportive, que ce soit à Sud Ouest – j’ai grandi à Bordeaux – ou à So Foot par exemple. J’ai bossé un petit peu avec la chaîne L’Équipe à Bordeaux. J’ai quasiment fait que du sport, à 20 minutes aussi.

Mais j’étais un gros joueur de jeux vidéo. Un peu à Counter-Strike quand j’étais ado, comme tout le monde, un peu à Warcraft III, beaucoup à Guild Wars. J’étais très fan de jeux en ligne. Quand j’étais en école, je jouais beaucoup à League of Legends avec des potes et certains m’ont poussé à regarder un peu la compétition. On est en 2014 à peu près, et j’ai réalisé à ce moment-là à quel point l’esport était déjà grand. Je savais qu’il y avait des compétitions, j’en faisais un petit peu moi-même en ligne, mais je n’avais pas réalisé que l’esport remplissait des stades, notamment lors de la finale des Mondiaux de LoL en Corée.

Là, j’ai un peu fait naître un nouveau projet pro. Je me suis dit "pourquoi moi, qui joue beaucoup aux jeux vidéo, qui aime le sport et la compétition en général, pourquoi je ne suis pas au courant que ça, ça existe ? Pourquoi je ne l’ai pas su avant ?" Mon projet s’est transformé en "je vais l’amener dans les médias généralistes". À partir de fin 2014, j’avais envie de devenir un journaliste qui allait mettre en lumière l’esport. C’est un peu "prétentieux" de dire ça, mais c’était mon projet de dire "cette discipline, ce milieu mérite d’être mis en avant parce que c’est plus gros que ce que les gens pensent".

Ça s’est concrétisé réellement fin 2015 quand j’ai eu mon diplôme, à la sortie de l’école. Il y avait les Mondiaux de LoL à Paris, le premier tour. C’était ma première expérience professionnelle de journaliste, j’y suis allé pour bosser pour Sud Ouest et Rue89, pour faire des papiers sur les Mondiaux de LoL. De mémoire, c’était surtout sur sOAZ et Dioud (ndlr : deux joueurs français de LoL). Une fois sur place, c’était incroyable parce qu’il y avait des journalistes coréens, chinois, américains, et très peu de journalistes français, sauf Fabien Mulot que j’ai recroisé parce que je le connaissais déjà et qui bossait sur L’Équipe Explore. Là, je me suis vraiment dit "ok, c’est ça que je veux faire, je veux bosser dans l’esport et le mettre en avant dans les médias traditionnels".

Je me suis un peu spécialisé, je l’avais fait dans les mois précédents en école, mais j’ai entériné mon choix et je me suis dit que j’allais persévérer. Je n’allais pas trouver autre chose, mais continuer à ne faire que de l’esport à partir de ce moment-là.

Il y a une partie des gens qui n’aiment pas qu’on dise que l’esport, c’est du sport, et le débat est encore vif. Est-ce que chez L’Équipe, au début ou même encore aujourd’hui, tu as senti des réticences de la part de certains collègues ou d’autres personnes ?

Pas tant que ça, non. Au contraire, beaucoup de curiosité en réalité. C’est con, mais les gens à L’Équipe ne connaissent pas l’esport, vraiment pas du tout, ils n’ont pas de visibilité dessus. Moi, je suis dix-douze sports en réalité quand je fais de l’esport. Les chefs à L’Équipe, c’est pareil pour eux, ils sont obligés de suivre plein de sports, donc c’est compliqué de leur rajouter l’esport qui est très vaste et parfois très complexe à appréhender. Ils ne regardent pas ça de haut, ils ne regardent pas ça d’un oeil méfiant, c’est plutôt de la curiosité mais aussi un manque de temps pour vraiment s’y intéresser.

Surtout, la première consigne que j’ai eue quand j’ai commencé à L’Équipe, c’était "traite l’esport comme n’importe quel autre sport sur le site". Ça sous-entend que l’esport n’est qu’un seul sport, ce qui n’est pas le cas, mais il y a cette consigne de se dire que le traitement doit être sportif. Et pour moi, c’est logique. Au-delà de la question sport/esport, j’ai toujours traité l’esport comme un sport. J’ai fait beaucoup de stages dans le milieu du sport et la manière d’écrire sur l’esport, c’est la même que celle que j’ai apprise quand je bossais dans le sport. Il n’y a rien qui change.

Ça me rappelle un commentaire sous un article – les fameux commentaires sous les articles esport de L’Équipe – où un type disait "on essaie vraiment de nous faire croire que c’est du sport, au point où on utilise le même vocabulaire !" Je trouvais que c’était drôle parce que c’est vraiment ça, tu utilises exactement le même vocabulaire que quand tu parles de foot, de tennis, etc. Avec des petites notions différentes forcément, mais dans la manière de le traiter, c’est de la compétition, donc c’est exactement la même chose.

Sinon, dans les trucs un peu marrants qui sont arrivés à L’Équipe, il y a les gens qui passent derrière moi quand je regarde une compét’ CS ou LoL, qui s’arrêtent et me disent "attends, t’es en train de jouer là ?" Je ne sais jamais trop s’ils blaguent ou s’ils se demandent vraiment si je joue. Je suis obligé de leur expliquer que non, c’est une compét’ d’esport.

Je sais qu’il y en a certains à L’Équipe, des journalistes peut-être un peu plus âgés, qui ont vraiment du mal avec le fait que l’esport soit présent sur le site. J’ai vu des tweets, des commentaires, des réflexions. Mais je pense vraiment que c’est de la méconnaissance. C’est des gens avec qui je n’ai jamais pu échanger, leur expliquer pourquoi ça avait sa place sur L’Équipe et sur ce site sur lequel ils écrivent eux aussi. C’est une très grosse minorité, je pense que la plupart sont assez curieux.

Parmi la douzaine de jeux que tu suis, est-ce qu’il y en a un que tu préfères pour travailler dessus en tant que journaliste, et un à regarder comme spectateur lambda ?

Il y en a deux. Le premier, c’est League of Legends, pour plusieurs raisons. C’est le jeu qui m’a amené à l’esport, c’est le jeu auquel je joue encore beaucoup aujourd’hui, c’est une scène incroyable à suivre. Quand tu comprends LoL, c’est quand même un jeu exceptionnel. Il y a tout ça. J’ai vraiment une sensibilité particulière avec League of Legends.

Le deuxième, c’est Counter-Strike, parce que ce jeu est dingo. Parce que comme LoL, c’est un jeu tier 1 dans l’esport. Parce qu’on a beaucoup de Français, donc c’est hyper intéressant de les suivre et de les mettre en avant. Parce que le jeu est assez facile à suivre et à introduire à des gens qui ne connaissent pas, c’est plus simple qu’un LoL.

Quand j’ai commencé à bosser sur l’esport chez L’Équipe, je ne jouais plus du tout à Counter-Strike, j’ai dû me remettre au jeu et me mettre à suivre la scène. C’est vraiment le jeu que je kiffe parce qu’il donne des émotions plus brutales, plus brutes que dans d’autres jeux. Il y a tout avec ce jeu : la scène, ce qu’est le jeu, les Français... C’est un tout qui fait que c’est vraiment le deuxième jeu avec LoL.

Pour que l’esport continue sa progression, est-ce que c’est primordial d’avoir des jeux assez faciles d’accès pour les novices, comme CS, ou est-ce que si on fait l’effort de s’y intéresser, tous les jeux peuvent être suivis par tout le monde, même des LoL ou des Dota ?

Si on fait l’effort de s’y intéresser, et surtout d’y jouer, tous les jeux peuvent être suivis avec plus ou moins de compréhension. Je connais des gens qui regardent du League of Legends sans vraiment beaucoup y jouer, parce qu’ils comprennent le flow de la partie. C’est forcément plus dur qu’un Counter-Strike, mais ils comprennent.

Ce qui est bien avec CS, c’est que ce n’est pas un jeu de sport. Quand tu fais découvrir à des néophytes, et notamment sur L’Équipe, c’est facile de le faire avec CS parce que tu montres aux gens que l’esport, ce ne sont pas que des jeux de sport. Le fait que ce soit facile de prendre le pli et de comprendre ce qu’il se passe, au moins dans les grandes lignes, et de comprendre la difficulté du jeu assez rapidement si tu acceptes de t’y intéresser – parce que c’est aussi une question d’acceptation –, rend mon travail un peu plus simple dans certains cas. C’est bien d’avoir ça, des jeux simples à comprendre. Bon, CS c’est dur à comprendre profondément en réalité, mais on peut apprécier du CS sans comprendre le cycle économique.

Ce n’est pas le jeu que je mettrais en avant en tout premier quand je veux parler d’esport. Je pense qu’aujourd’hui, un Rocket League est plus simple pour ça parce qu’il regroupe plein de choses qui existent sur LoL et sur CS, notamment la hype, le public un peu dingo. Et au fond, c’est un jeu de foot, donc c’est un peu facile. Mais Counter-Strike arrive probablement en deuxième position, très logiquement.

Dans tes articles CS, et sans doute pour t’adresser à un public large, tu rappelles quasiment tout le temps des choses assez basiques : ce que c’est un Major, qui c’est l'ESL, etc. Est-ce ce n’est pas un peu saoulant de répéter toujours ces mêmes choses ?

Si, mais je m’y suis fait ! Une autre consigne qu’on m’a donnée quand j’ai commencé à bosser à L’Équipe, c’était de faire en sorte que l’article soit compréhensible et intéressant pour les gens qui suivent l’esport – qui du coup savent ce que c’est un Major, savent ce que c’est l'ESL –, mais aussi pour leurs parents. C’est con, mais c’est un peu ça l’idée. C’est pour ça que je continue de le faire, par petites touches. J’ai l’impression de le faire un tout petit peu moins qu’avant. Maintenant, je me mets à parler de Major sans préciser ce que c’est.

Mais je me dis que quand même, le public endémique de L’Équipe, dans sa globalité, c’est un public qui ne connaît pas l’esport. Au quotidien, il y a toujours des gens qui découvrent l’esport en cliquant sur des articles de L’Équipe. Leur donner des clés de compréhension sur un monde qui n’est pas facile à comprendre, des équipes qui ne sont pas faciles à connaître parce que ce ne sont pas des noms de villes par exemple, leur donner une base, c’est important.

Donc oui, ça me saoule un petit peu parce que j’aimerais bien pouvoir faire des articles où l’on s’adresse quasiment intégralement au public fan d’esport, pour lui amener cette plus-value journalistique qu’on est capable d’apporter. Ce qu’on fait sur certains articles, que ce soient des interviews, des portraits, des mini-enquêtes, c’est que j’essaie de faire un lexique à la fin, mais pas d’expliquer dans le texte ce que c’est un Major, ce que c’est l'ESL, etc. J’aimerais bien faire plus d’articles comme ça où je ne suis pas obligé de préciser. Mais pour les résultats au jour le jour, les gens ne viennent pas trop sur L’Équipe, ils les ont quasiment instantanément sur Twitter, en ayant regardé le match sur Twitch, ou même sur VaKarM pour du CS. Donc je me sens un peu obligé de préciser des choses qui peuvent être basiques aux gens qui vont tomber dessus sur L’Équipe et qui ne connaissent pas.

Tu es déjà allé faire des reportages sur le terrain, au Danemark pour aller rencontrer RFRSH et Astralis, ou au Stade de France avec Vitality. Pour toi, c’est quoi l’équilibre idéal entre le contenu d’actu au jour le jour, et les contenus plus poussés qui demandent de voyager, plusieurs jours de travail, etc. ?

Il n’est pas facile à trouver tout seul. C’est un peu plus simple quand j’ai l’aide d’un stagiaire, mais ce n’est pas forcément évident non plus. Je suis vachement pris par le suivi et la veille de l’actu et c’est difficile de se dire "ok, pendant trois jours, je ne vais pas faire attention à l’actu et me concentrer pour faire un portrait, une vraie longue interview, un reportage, ou encore pire une enquête, des trucs vraiment travaillés". J’aimerais bien en faire plus parce que je pense que ce contenu à forte plus-value, c’est quelque chose qui manque à l’esport globalement. Il existe, vous le faites, d’autres sites le font un petit peu. Mais en tant que L’Équipe, on devrait s’y arrêter et le faire un petit peu plus. C’est quelque chose que j’aimerais bien développer.


No Pain No Game, un L'Équipe Explore sur apEX paru au printemps dernier

Ce n’est pas facile quand on a dix scènes à suivre, de l’actu quotidienne, cette volonté de remplir la rubrique, parce que c’est important de montrer qu’on s’intéresse vraiment à l’esport au quotidien. On ne pourrait pas le faire si on faisait des articles deux fois par semaine, un portrait et un reportage. Je pense que ce n’est pas suffisant pour montrer à quel point on prend l’esport au sérieux. Mais c’est une question de temps, tout simplement, et de développement de la rubrique. J’aimerais vraiment faire plus de contenu à forte plus-value.

Counter-Strike, c’est un jeu où il y a des terroristes et une bombe qui explose. Pour le grand public, c’est parfois délicat. Certains sponsors ont aussi refusé de venir sur CS à cause de ça. Est-ce que vous, en tant que média, ça peut vous poser problème ?

Non, du tout. Je trouve ça très cool, on ne m’a pas dit quand j’ai commencé "Counter-Strike tu fais attention, tu ne fais rien". Pour vulgariser le truc et le rendre plus compréhensible, je parle plutôt d’attaque/défense que de terro/anti-terro. Je ne parle pas de kill, je parle d’élimination, ça lisse un peu. C’est plus facile à comprendre pour des gens qui ne connaissent pas CS, et les gens qui connaissent CS savent très bien de quoi je parle. Et ça aide à se dire que ça reste un jeu avant tout. Ce n’est pas un jeu qui promeut la violence, on n’en est pas là.

C’est cool d’avoir cette liberté parce que c’est un jeu incroyable. Quand tu mets en avant les qualités d’un joueur, tu ne mets pas en avant le fait que ce soit un tueur, tu mets en avant ses réflexes. Quand tu parles d’un ZywOo, tu parles d’un virtuose, d’un mec qui pianote parfaitement et qui a des réflexes de malade, qui a un cerveau de fou.

Il n’y a pas cette question de "est-ce qu’on doit traiter CS ou pas ?" Je peux mettre des vidéos de CS dans mes papiers, des vidéos de clutchs de ZywOo, je suis assez libre là-dessus. Je n’ai jamais eu de "c’est un peu compliqué avec un annonceur", donc pour l’instant c’est cool. Et heureusement, parce que je pense que c’est la bonne façon de faire, de traiter CS. Ils ne se posent pas ces questions au Danemark.

Je pense que L’Équipe a raison dans son positionnement par rapport à CS. Il faut le traiter comme un jeu majeur de l’esport, avec des joueurs ultratalentueux, des virtuoses du jeu. Il faut trouver l’équilibre, parler d’élimination, d’attaque/défense, etc. Expliquer, même implicitement, que c’est avant tout un jeu, simplement.

Depuis quelques années, avec la professionnalisation de l’esport, les structures essaient de garder le contrôle sur ce que disent les joueurs et leurs sorties publiques. Aujourd’hui, pour faire une interview, il faut passer par des agences, des managers, des intermédiaires, etc. Est-ce que c’est une évolution que t’as constatée aussi, et est-ce que ça te pose problème parfois pour accéder à certaines personnes ?

C’est une évolution que j’ai constatée un peu, mais moins que vous, parce que ça fait moins longtemps que je suis dans le milieu. Surtout, j’étais habitué à ce système-là parce que je viens du sport pro où c’est comme ça. Donc je n’ai pas été surpris. En fait, de moi-même, en arrivant dans l’esport pro, j’allais plutôt voir les responsables de la comm’ et les gens des clubs pour avoir une interview d’un joueur. Pour moi, c’est logique, j’étais habitué à ça.

Mais oui, j’ai vu cette évolution, notamment dans le contrôle. Maintenant, il faut parfois mettre trois mecs en copie pour avoir l’interview d’un joueur. Mais ça fait partie de la professionnalisation et du contrôle que veulent avoir les équipes sur ce qui paraît, où, parce qu’elles sont sollicitées par plus de médias. Pour moi, c’est aussi une évolution logique. Forcément, et dans le sport aussi, les gens râlent : "c’était mieux avant, c’était plus facile d’avoir untel ou untel". Mais c’est aussi logique que les clubs veulent plus de contrôle. C’est un peu fataliste, mais de toute façon c’est comme ça.

Maintenant, je n’ai pas trop de problème à avoir des interviews parce que j’y vais avec l’étiquette L’Équipe. Les gens savent ce que c’est d’avoir un article dans L’Équipe, même si c’est sur le site. Certains clubs français, quand ils ont des articles dans L’Équipe, lorsqu’ils sont à la recherche de sponsors, c’est quelque chose qu’ils mettent en avant. Donc je n’ai pas trop de difficultés à avoir des interviews. Avec les clubs étrangers non plus, parce qu’en général ils connaissent un peu L’Équipe.

Parfois, c’est juste une question de timing. Un mec comme ZywOo, je ne vais pas le demander à chaque fois non plus parce que je sais que ce sera plus compliqué. Si je veux parler à un Gotaga, même si c’est un peu hybride esport/streaming, ce n’est pas évident, parce que le mec est ultrasollicité et il a d’autres choses à faire. Mais bon, le fait qu’il y ait L’Équipe derrière, ça aide forcément.

Les clubs d’esport ne sont pas reliés à des villes ou à des pays. Est-ce qu’un système de compétition nationale, comme on a pu avoir sur CS par le passé avec l’équivalent de Coupes du monde ou d’Europe qui permettaient de voir des line-up nationales inédites, pourrait aider l’esport à se développer, notamment auprès du grand public ?

Si l’esport était aux Jeux olympiques, des gens s’y intéresseraient juste parce qu’on aurait une chance de médaille. Les JO ont une connotation beaucoup plus forte et aideraient plus que juste faire une compétition par nation de premier plan sur LoL ou CS.

C’est une vraie question compliquée parce que ce n’est pas facile, pour les gens qui ne connaissent pas l’esport, de savoir que Vitality est une équipe française. Ça s’appelle "Team Vitality", en plus ils tweetent en anglais maintenant parce que c’est une équipe plus que française, elle est européenne, donc c’est assez compliqué. Je pense que oui, des compétitions par nation, des grosses coupes du monde, des vrais trucs sur CS ou LoL, pourraient aider à mettre en avant l’esport, parce que là on comprendrait vraiment qu’on est en train de soutenir la France, l’Espagne ou l’Allemagne. Ça aiderait, plutôt que d’avoir des noms d’équipes où ce n’est pas facile d’identifier d’où elles viennent.


Victoire française au World Championships 2015. Qu'elle était belle la vie. (photo : HLTV)

Mais en même temps, ça fait aussi partie de ce qu’est l’esport aujourd’hui. Il y a ce truc de "on casse les frontières", on est des équipes de régions plutôt que de pays ou de villes. Je trouve ça assez intéressant aussi. Mais j’aimerais bien voir des Coupes du monde parce que ce serait cool de couvrir ça. On va voir avec celle de Rainbow 6 par exemple (ndlr : prévue pour 2022), qui est un jeu en progrès, pas mal de monde y joue, donc ce sera intéressant. C’est vrai que j’aimerais vraiment le voir sur LoL ou CS.

Le Covid a annulé beaucoup de lans en 2020 et 2021. Est-ce que tu as eu des projets reportés et quel est ton programme pour la suite ?

J’ai fait le Major de Katowice en 2019. Je n’avais pas pu aller à celui de Berlin, et j’avais très envie d’aller à celui du Brésil pour ce que ça représentait. Les trucs qui ont été annulés, les compétitions auxquelles je voulais assister et qui n’ont pas eu lieu, il y en a eu trop. Ne pas pouvoir les suivre sur place, faire du terrain, c’est quelque chose qui m’a manqué.

En termes de projets, on n’avait pas prévu de faire évoluer drastiquement la rubrique esport cette année. Ce sont vraiment plus les occasions manquées d’aller en lan et d'y faire de bons articles, parce que c’est quand même là qu’on fait le plus gros du travail. C’est ça mon regret sur l’année.

En 2021, avec ce qu’a montré l’esport en 2020, sa résilience, j’espère qu’on va faire un petit peu plus de choses. Se dire "ok, l’esport a pris une place importante dans le paysage du sport en général en 2020, faisons évoluer notre traitement en 2021".

Il n’y a pas de projet à proprement parler qui existe mais j’espère qu’il y aura une prise de conscience, une évolution. J’espérais qu’elle viendrait avec la finale des Mondiaux de LoL à Bercy en 2019. Elle est venue un petit peu, mais le coup de frein de début 2020 a mis un stop à plein de projets qui auraient pu se créer, voir le jour autour de l’esport. Là, il y a un peu ce truc de "on a oublié Bercy et tout repart de zéro" qui est un peu triste, un peu dommage.

J’espère très globalement pouvoir faire évoluer le traitement de l’esport à L’Équipe en 2021, pour le mieux. J’espère qu’on en fera plus, tout simplement.

Le reste de cette interview avait déjà été publié sur VaKarM, c'est à retrouver ici.

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