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Le contrat de ton joueur préféré

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Les esportifs et les joueurs professionnels de Counter-Strike sont certes animés par la pa$$ion mais ils restent des travailleurs qui doivent avoir un contrat entourant leur activité. Depuis 2016 et la loi dite "pour une République numérique", il existe un contrat de travail spécifique pour ZywOo et compagnie. 

Mais pourquoi ce contrat a été créé ? Quels sont les critères pour en bénéficier ? Quel bilan peut-on en faire ? Et quelles sont les alternatives ?

Qu’est-ce qu’un contrat de travail ? 

Selon le site du ministère du Travail, un contrat de travail existe dès l’instant où une personne (le salarié) s’engage à travailler moyennant rémunération, pour le compte et sous la direction d’une autre personne (l’employeur).

Il existe différents types de contrats de travail, notamment les contrats à durée déterminée (CDD) et les contrats à durée indéterminée (CDI). Les premiers ont une durée limitée et précisée, ils ne peuvent être renouvelés plus de deux fois et la majorité du temps, ils ne peuvent excéder 18 mois. Les seconds sont sans limitation de durée et permettent une plus grande protection du salarié. 

Les contrats de travail sont à différencier du contrat d’entreprise, parfois appelé contrat de prestation de services. Dans ce dernier, il n’existe pas de lien de subordination entre les parties. Si un lien de subordination de fait peut-être établi, le contrat peut être requalifié par le juge en contrat de travail.

  
Un code comportant deux fois plus de pages que
Guerre et Paix

La situation antérieure à 2016

Avant cette innovation législative que constitue le contrat défini par la "République numérique", les esportifs s’établissaient en tant qu’auto-entrepreneur (aujourd’hui micro-entrepreneur), ce qui permettait de monter jusqu’à 32 000 euros de chiffre d’affaires par an. Au-delà, il fallait s’établir en tant que société (SAS, SARL, EURL, etc.). 

Lorsque le joueur était dans ce cadre, il était rémunéré en tant que prestataire par sa structure pour les interviews, les opérations de sponsoring, etc., mais pas pour les entraînements et les compétitions, alors que ce sont pourtant ses activités principales. Cette situation pouvait s’expliquer avant tout par la peur des écuries esportives de voir ces contrats de prestations ou encore de sponsoring se transformer en contrat de travail s’il existait avec le joueur "un lien de subordination et de dépendance économique, caractéristique de l’état de travailleur salarié".

Lorsque l’esportif est un indépendant, il n’est donc pas lié contractuellement pour les compétitions et les entraînements. 

Dans le rapport concernant la pratique compétitive du jeu vidéo, le sénateur Jérôme Durain et le député Rudy Salles constatent que, dans ce milieu, les conditions liées au recours du CDD ne sont pas remplies et que le CDI, à travers ses règles de licenciement et de démission, est trop lourd par rapport au fonctionnement des transferts dans le jeu vidéo compétitif. 

À la suite de ces réflexions, il a été proposé deux choses : soit d’étendre à l'esport le CDD du sportif prévu par le code du sport ; soit d’introduire un nouveau contrat ayant les mêmes effets que le CDD du sportif mais pour l’esport. C’est la deuxième solution qui a été retenue car l’esport n’est pas (encore) considéré comme un sport.  

L’introduction du contrat esportif

L'article 102 de la loi du 7 octobre 2016 met en place le contrat pour les joueurs professionnels de jeux vidéo compétitifs. À quoi ressemble ce nouveau contrat de travail ? 

Il s’agit d’un CDD qui a une durée comprise entre une et cinq années et qui est renouvelable de façon illimitée. Sa durée peut être inférieure à une année dans seulement trois situations :

  • en cas de remplacement d’un joueur absent ou suspendu. On peut prendre pour exemple le cas du burnout d’un joueur qui se voit remplacer pendant quelques temps ; 
  • pour concourir sur un jeu où l’employeur n’a pas encore d’équipe existante ;
  • lorsque le contrat se termine à la fin de la saison (le législateur a ici pris en compte la temporalité de l’esport et son rythme qui se joue saison par saison). Par exemple, une équipe CS peut embaucher un sixième joueur (même si Gaben n’aime pas trop ça) en test jusqu’à la fin de la saison afin de voir si la mayonnaise prend. 

Les saisons sont de deux sortes : celles pour Riot Games (League of Legends et Valorant), et celles pour les autres éditeurs, qui durent également un an. 


Les saisons pour Riot...

...et pour les autres.

Le CDD s’applique uniquement aux individus qui répondent à la définition suivante : "toute personne ayant pour activité rémunérée la participation à des compétitions de jeu vidéo dans un lien de subordination juridique avec une association ou une société bénéficiant d'un agrément du ministre chargé du Numérique" . 

Le pouvoir législatif reprend donc la définition existant déjà dans le Code du sport (la fameuse deuxième solution précédemment citée) pour désigner le sportif professionnel salarié. Cependant, ici les termes "sportif professionnel" sont remplacés par les termes "joueur professionnel de jeu vidéo compétitif". Les parlementaires auraient pu utiliser le terme "esportif" afin de coller avec la réalité ainsi qu’avec la dénomination commune du contrat, sans pour autant faire de l’esport un sport, ce qui était un des objectifs affichés en créant un nouveau type de CDD.

Ensuite, il faut que l’association ou la société bénéficie d’un agrément du ministère en charge du Numérique pour pouvoir user de ce contrat. Afin d’obtenir le précieux sésame, il faut remplir un petit formulaire, envoyer quelques pièces justificatives (sociétés/associations) mais surtout correspondre à certains critères. 

Par exemple, il faut que la structure ait les capacités financières et matériels pour engager un joueur professionnel, ce qui paraît normal afin que le contrat puisse être honoré. 

Cependant, une des conditions paraît plus difficile à remplir pour les plus petits budgets. D’après cette dernière, il faut que "l'association ou la société ait prévu ou mis en œuvre pour ses joueurs professionnels un encadrement et un suivi physiques, psychologiques et professionnels adaptés à leur activité". Les termes sont flous et les encadrements physiques et psychologiques peuvent engendrer des coûts supplémentaires, comme l'embauche d'un préparateur physique ou encore d'un coach mental. 

Cette dernière condition peut être l’une des raisons expliquant le peu d’agréments délivrés : seulement 8 structures détiennent actuellement l’autorisation d’après le site du gouvernement. 


Les 8 élus

L’agrément dure trois ans et doit être renouvelé au plus tard trois mois avant son expiration. Durant ces trois années, la Direction générale des entreprises recommande l’utilisation du CDD pour toutes les relations contractuelles avec les joueurs.

 

Une innovation critiquée

Alors, est-ce que ce contrat rencontre un réel succès auprès des différentes équipes ? 

La situation paraît plus que mitigée et nous sommes actuellement dans une période charnière. La plupart des agréments ont été délivrés en 2018, il y a donc 3 ans ou moins. Jusqu’ici, deux renouvellements n’ont pas eu lieu, ceux de LDLC OL et de l’Olympique Lyonnais, qui expiraient le 5 janvier 2021. On peut imaginer que les merveilleux dogues lillois ont renouvelé l’autorisation, tout comme Esport Aero Association et Team Vitality au vu de leur présence sur le site gouvernemental. 

Afin d’avoir des éléments de réponses sur la perception de cette nouvelle loi dans le milieu de l’esport, nous nous sommes tournés vers différents acteurs. Tout d’abord Stéphan Euthine, directeur de LDLC OL mais aussi président de l’association France Esports, afin d’avoir la vision d’une personne qui a utilisé ce contrat. 


Les poulains de Stéphan

Où en êtes vous chez LDLC OL avec cet agrément ? 

Depuis cette année, nous n’avons plus l’agrément car il permet d’activer le contrat de travail à durée spécifique pour les joueurs comme celui pour les sportifs. Seulement, on l’a mis en place au moment où on a pris l’agrément il y a 3 ans et on s’est rendu compte de la complexité à le "vendre" aux joueurs car pas mal refusent d’avoir ce type de contrat, ou en tout cas les conditions qu’il amène comme certaines libertés qu’ils pourraient avoir en tant qu’indépendant, comme la contractualisation avec d’autres marques. 

On s’est essayé à ce contrat, ça n’a pas été simple. Il y a des gestions comme celle des cashprizes qui implique une taxation de l’État à plusieurs niveaux qui n’existe pas dans les autres modèles. On s’est retrouvé en concurrence avec des structures étrangères qui pratiquent sur le même sol, cela nous a bloqué. On ne pouvait pas contractualiser les joueurs sous un format de contrat de travail, sous peine de payer 40 à 60 % plus cher que la concurrence. 

Ça a donc été un premier choix économique. Après, ça a été une problématique de ressources humaines car quand on est dans le Code du travail, on doit imposer les 35 heures. Or pour les 35 heures, entre les temps d’entraînement et les temps de pratique, on n’a pas réussi à définir quand un joueur travaille ou ne travaille pas, si du temps personnel est du travail, s’il travaille uniquement quand il est en compétition...

Ces différents sujets sur lesquels on n’avait ni aide ni réponse nous mettaient dans une position à risque, alors que le statut de sponsor de joueur permet au club de ne pas amener de contraintes et au joueur de décider de quand il s’entraîne. Ce statut fonctionnait mieux, même s’il y avait un risque de requalification en contrat de travail de leur activité qui peut venir de deux niveaux : le premier niveau sont les joueurs qui veulent demander la requalification car ils jugent qu’ils ont le droit, mais ce cas de figure n’a jamais existé car ce sont eux qui désirent être dans cette position-là ; le deuxième niveau, c’est l’URSSAF, qui est un vrai risque si un inspecteur du travail passe car il est autonome dans sa décision et s’il n’est pas bienveillant envers l’esport, alors il pourra venir enquiquiner le club comme il voudra. 

On s’est demandé, quel était le risque ? Le risque maximum est que l’on nous oblige à faire un contrat de travail. Dans ce cas-là, on en fera un, le joueur et le club seront perdants. Puisque l’on n’a pas de solution qui fonctionne, on est obligé d’être en permanence en gestion de risque et de se mettre dans une position difficile. 

La problématique de l’agrément, c’est qu’il ajoute une possibilité de risque de qualification car cela est un pointeur supplémentaire pour diriger vers une requalification. Il permet de conclure un contrat et donc l’État va demander pourquoi les structures ayant cet agrément ne le font pas. Pendant trois ans, on a essayé d’avoir des échanges, on a même rencontré le ministère du Travail qui nous a dit de passer par l’auto-entreprenariat, ce qui est quand même incroyable !

Il n’y a pas de solution et s’il y en a une, elle viendra de la modification de la loi telle qu’elle a été promulguée. Mais il faut un nouvel atelier moratoire sur le sujet et en attendant, ça nous met une épée de Damoclès supplémentaire pour la requalification par l’URSSAF, qui ne connait rien à l’esport alors que je pensais que l'agrément allait tirer l’accueil des joueurs vers le haut. 

Allô l'URSSAF ? 35 heures pour des indépendants ?

Donc, on s’est dit que pour l’instant, on n’allait pas le renouveler mais plutôt travailler de l’extérieur sur ce contrat de travail avant de réclamer à nouveau l’agrément parce que si je le reprends, c’est pour utiliser un contrat de travail. 

La Direction générale des entreprises (DGE) nous l’a aussi spécifié, l’agrément n’est pas un outil de reconnaissance des clubs mais un outil pour avoir accès au contrat de travail. 

L’objectif maintenant serait de relancer la machine avec d’autres clubs sur la revue de ce contrat de travail, mais cela doit venir de tous les clubs. Une réunion a déjà eu lieu l’année dernière, il y a une volonté de créer une instance représentative des clubs esport pour défendre ce sujet. France Esports ne représentant pas que le monde professionnel mais tout l’écosystème, elle ne peut pas amener le sujet. Il y a encore du travail sur ce contrat.

Dans une interview avec ConnectEsport en janvier 2020, tu évoquais un cahier de doléances sur ce sujet, est-ce que cela a avancé ? 

Nous, on a remonté à la DGE ce fameux cahier de doléances. On a fait un atelier avec Level256 où on a parlé du contrat de travail en listant les problématiques présentes dans le cahier de doléances et en identifiant les freins résultant de l’utilisation du contrat de travail : il y a un frein à l’économie, à l’activité et aux ressources humaines. Nous n’avons jamais eu de réponses à nos questions, ne serait-ce que trouver la convention d’accueil. Nous ne pouvons pas avoir une convention de l’esport car l’État réduit le nombre de conventions et une convention pour 200 joueurs professionnels, cela n’a pas de sens. On nous a proposé les intermittents du spectacle mais c’est un statut difficile à gérer et instable pour les joueurs. 

La problématique que l’on a surtout, c’est que l’on veut faire du franco-français. Quand on écoute le gouvernement, on doit rentrer dans des cases qui existent, or on ne rentre dans aucune case. Il va falloir trouver le moyen de créer quelque chose qui nous corresponde.

Comment en est-on arrivé à quelque chose qui ne correspond pas du tout au secteur ? En 2017, à notre micro, tu parlais de propositions "lunaires et représentant un risque pour l’esport". 

L’État avait besoin de sortir quelque chose et c’est la difficulté que l’on a. Aujourd’hui, on critique mais on ne propose pas. Il va falloir que nous soyons force de proposition sur ce contrat de travail, on ne peut pas simplement dire qu’il ne nous convient pas. 

Notre boulot va être de réunir des clubs et des joueurs professionnels pour pouvoir dire "Voilà ce que l’on veut". On n’a jamais réussi à lancer cela car on a la tête dans le guidon et malheureusement, on n’a pas le temps de prendre du recul. On a subi le fait que l’État se positionne par rapport à son angle de vision et c’est compréhensible d’avoir mis la case sportive car c’était la plus simple. 

Quand ils nous ont annoncé ça, on leur a dit qu’on ne voulait pas aller dans la case du sport car elle ne nous correspond pas. Pour nous, c’était la moins pire des cases mais cela ne veut pas dire que c’est la bonne case. Il y a des choses compatibles mais ce n’est pas celle qu’il nous faut. 

L’État avait besoin de communiquer et d’avancer sur le sujet car il avait été interpellé et l’élément de réponse a été cette loi. La loi a été votée assez rapidement et c’était presque contre notre avis à l’époque. On était très content que l’esport soit reconnu par une loi et sur l’article 101 de la loi pour une République Numérique (ndlr : relatif aux compétitions), on a réussi à intervenir. Autant sur l’article 102, on n’a pas eu voix au chapitre.  

Chez LDLC OL, on a essayé ce contrat, j’ai poussé d’autres clubs à l’essayer, mais aujourd’hui je pense qu’il n’y a pas beaucoup de clubs en France qui utilisent le contrat de travail. Ceux qui l’utilisent sont surtout ceux qui viennent du monde du sport car ils l’ont déjà dans leur écosystème donc c’est logique pour eux, mais ils se heurtent aux mêmes problématiques quant à la déclaration des temps de travail ou à la gestion des cashprizes. 

Aujourd’hui, on a ce cahier de doléances et maintenant, on veut pouvoir donner des réponses, on a besoin d’avoir des joueurs professionnels et des clubs qui s’accordent sur des pistes de proposition et d’avoir le monde législatif qui transforme ça en cahier des charges. Ensuite, il faudra arriver vers le législateur qui sera ravi d’avoir quelque chose de prêt. Notre écosystème n’a pas été assez mature pour fédérer tous les acteurs sur le sujet et puisque ça fonctionne sans, il a continué de fonctionner sans. Il est difficile de dépenser de l’argent pour certains clubs afin de monter ce dossier. 


Stéphan déjà au micro de VaKarM en 2017, et avec le sourire

Tu nous parles d’amener du changement mais en tant que structure, quel est votre intérêt de vouloir un nouveau contrat de travail ? Car avec l’auto-entreprenariat, il y a moins de charges à payer et c’est plus concurrentiel. 

C’est tout le problème, il faut une maturité pour les structures afin qu’elles veuillent aller vers autre chose qui va leur coûter plus d’argent. Actuellement, le fonctionnement fait qu’on arrive à être concurrentiel avec les autres clubs. On est dans une zone grise qui sert clubs et joueurs car on est en capacité de reverser plus d’argent au joueur, qui lui va générer plus de revenus, car les mécaniques d’auto-entreprenariat et de société sont plus rentables. 

La problématique va être de faire bouger les lignes avec quelque chose qui va coûter plus cher à tout le monde et c’est pour cela que l’on n'avance pas.

Certes, mais les joueurs auront certains avantages grâce aux cotisations, comme une meilleure retraite et un accès plus facile au chômage. 

Je suis d’accord sur le versant retraite, mais ça on peut le faire comprendre à un joueur qui a suffisamment de maturité pour se dire qu’il va cotiser pour sa retraite. Cependant, la plupart des joueurs avec qui on discute pensent clairement à ce qu’ils vont toucher à la fin du mois. Le retour sur investissement d’un joueur, il est à court terme. Je n’aurais aucun débat à dire que c’est mieux pour le joueur et on essaye de leur dire ça, mais ils ne sont pas intéressés car désabusés sur la retraite. Concernant la sécurité sociale, ils ont leur mutuelle. Le problème, il est au delà de l’esport. La génération Y ne veut plus un CDI, on a des jeunes qui veulent une indépendance, une liberté. 

C’est presque une problématique de l’auto-entreprenariat qui doit être adapté. La solution pour moi, c’est un modèle différent d’auto-entreprenariat, qui soit plus protecteur. Peut-être qu’il n’y a pas que l’esport et que si on avait un vrai format d’auto-entrepreneur avec des garanties et ce qu’il faut, ça serait plus facile de mettre en place nos contrats et tout le monde serait content. Là, on essaie à nouveau de nous mettre dans une case et peut-être que la solution n’est pas là. Est-ce que l’on ne cherche pas à mettre un pansement là où on pourrait guérir une hémorragie ?

Avec le contrat de travail, il nous faudrait une compensation quelque part qui nous permette de ne pas avoir cette perte financière et cette concurrence déloyale qu’on a de nos voisins. Il faudrait des mécaniques fiscales ou des outils pour nous aider. Il faudrait que les contrats des joueurs français localisés en France soient tous soumis à la loi française. 

Aujourd’hui, je peux prendre mon siège social, je le déménage en Belgique ou en Espagne et j’ai réglé le problème. On veut punir les clubs qui essayent de faire les choses dans leur propre pays alors qu’il serait infiniment plus simple de juste déménager le siège social, or ce n’est pas ce que l’on veut. Je suis fier d’être français, j’ai envie que ma société soit fière d’être française et que les retombées aient lieu en France. 

Ça fait environ 5-6 ans que l’on est sur cette réflexion de contrat de travail et à chaque fois j’ai cette "carotte" de l’étranger pour régler tous mes problèmes, c’est terrible ! On est tous en Europe, pourquoi il n’y a pas un alignement ? Si on veut défendre un statut de contrat de travail pour le joueur, il faut qu’il soit européen. La législation doit être pensée au delà des frontières françaises, or le niveau de maturité est différent dans chaque pays sur le sujet de l’esport.

Sais-tu où en sont les autres structures concernant l’agrément ? 

C’est tout l’objet de l’atelier, c’est de reprendre cette conversation qui a été arrêté à cause du Covid-19. Avec cette situation, les clubs essayent de sauver les meubles sur leur modèle économique plutôt que de réfléchir sur comment on va se positionner pour dépenser plus d’argent pour un contrat de travail. On aimerait relancer cela pour faire un état des lieux, mais il y a toujours cette position un peu suspicieuse des clubs quand ils donnent leurs données. Il faut un atelier avec de la confidentialité afin d’analyser la réalité de chaque club. Peut être que certains clubs utilisent uniquement le contrat de travail, ce qui m’étonnerait, mais c’est possible pour ceux qui viennent du sport traditionnel car ils sont habitués à ce format-là. 

Avec France Esports, on a relancé deux ateliers sur lesquels on veut retravailler de manière active,  l’esport en ligne et les contrats de travail. Tout ce que l’on espère, c’est que l’on arrive à fédérer les gens autour de ces sujets.


Une association pour tous les rassembler

Par rapport au contrat sportif classique, il y a la différence de l’agrément, est-ce que tu peux nous parler du coût pour remplir les conditions de l’agrément ? 

Le coût, ça veut tout et rien dire. Est-ce que l’on parle des contraintes demandées dans l’agrément ? Ou alors on parle des charges amenées par l’utilisation du contrat de travail ? Ou l’on parle d’une seule équipe ou de plusieurs ?

Déjà, sur tes contrats de travail, tu vas amener 60 % de plus sur tes salaires donc ça va dépendre du montant des salaires. Concernant l’encadrement, il y a une notion d’accompagnement physique et psychologique des joueurs et pour moi, les clubs doivent toujours le faire, qu’il y ait l’agrément ou non. Je pense que les clubs professionnels doivent avoir au moins une veille auprès des joueurs afin d’avoir un suivi médical et s’il y a un problème, on peut alerter. Il y a une responsabilité des clubs et ce n’est pas l’agrément qui doit nous obliger à faire ça, l’agrément est juste une vérification que tu fais les choses correctement. Si on veut être un club professionnel, on est obligé d’aller au-delà du seul fait de mettre ses joueurs devant un ordinateur pour qu’ils jouent, il faut un accueil pour les joueurs, qu’ils se sentent bien, qu’on soit sûr qu’il n’y ait pas de blessure. Certains vont travailler la nutrition, d’autre la partie préparation physique, c’est normal qu’un club professionnel investisse plus qu’un coach sur ses joueurs.

Le suivi psychologique, c’est par exemple ton manager qui a un suivi psychologique et si un joueur ne se sent pas bien, on bascule sur un suivi médical, psychologue ou de médecine générale. Nous, c’est ce que l’on a. On a un suivi de médecine générale et on peut basculer sur le psychologue si besoin. Cela ne veut pas dire que nos joueurs sont fous, l’État a mis en place cet outil-là car il ne connaissait pas l’activité et avait peur de ce pointage du doigt sur les phénomènes d’addiction, et voulait absolument protéger les pratiquants. 

La seule contrainte qu’amène l’agrément pour moi, ce sont les charges et le fait que si l'on passe par l’agrément, le cashprize ne peut plus aller directement au joueur. Il doit aller à l’équipe qui doit payer toutes les taxes avant de pouvoir verser les primes au joueur, qui sont elles-mêmes taxées par l’État comme prime de travail. A l’arrivée, le joueur va toucher au mieux 40 % du cash prize qu’il aurait touché en direct, et donc ce n’est pas le club qui vient prendre l’argent. L’incompréhension est que l’on se met dans les clous et tout le monde perd de l’argent, mais si tous les clubs étaient à la même enseigne, il n’y aurait pas de problème. Le souci, c’est que l’on a des clubs en face de nous qui ne répondent pas à ces règles-là. 

Si on dit au joueur qu’il ne touchera que 40 000 euros d’un cashprize de 100 000 euros, le joueur préfère avoir le cashprize complet et pas juste les 40 %. Il ne pense pas à sa retraite à ce moment-là. Face à ça, on n’a pas d’argument et pour en avoir, il faudrait que ce soit européen afin que tout le monde soit aligné sur un statut. Certains pays auront leurs avantages fiscaux et ça, on n’y pourra rien, mais la qualité de vie du pays dépend de ces avantages fiscaux. 


100 000 $ ou 40 000 $ ? 

Ce que je pointe comme problématique, c’est qu’une structure étrangère qui paye un joueur sur notre sol ne répond pas aux règles de notre sol alors que normalement, elle devrait y répondre. Moi, tous les contrats que j’ai fait avec les joueurs qui étaient de l’étranger, ils ont été validés sur mon sol et sur leur sol en même temps. L’État n’a pas proposé de venir contrôler tous les contrats de l’étranger. 

Là où on n’est pas bon c’est que l’on n'est pas force de proposition. On a un vrai travail en tant qu’écosystème, c’est d’arriver à proposer quelque chose à l’État car sans rien proposer, un jour c’est l’État qui va décider en disant que c’est comme ça et pas autrement. Si cela arrive, ça ne va pas nous plaire, la moitié des clubs partiront à l’étranger et les autres arrêteront l’activité parce qu’ils n'arriveront pas à la faire tourner, ou alors le niveau sera rabaissé et on aura perdu l’activité sur le sol français alors qu’on a un pool incroyable de joueurs. On a des possibilités en France en termes de joueurs et de clubs qui sont assez fortes par rapport à d’autres pays en Europe. La peur est de voir venir l’État détruire tout ça par de la réglementation. 

Il y a une urgence car l’outil proposé par l’État a quatre ans et il n’est pas bien utilisé. À un moment donné, ils vont venir taper du poing sur la table. Cependant, le dossier est hyper complexe car pour l’avoir étudié en long, en large et en travers, j’arrive aux limites de mes compétences. Derrière, il y a de la législation à mettre en place avec des enjeux fiscaux, de droit du travail, etc. Ça touche beaucoup de choses.

Sur la temporalité des saisons, il y en a une pour Riot et une pour les autres éditeurs. Selon toi, faudrait-il les adapter en fonction du jeu ? 

À ton avis, pourquoi il n’y a qu’une temporalité pour Riot ? Car c’est le seul à avoir déclaré une temporalité et que les autres n’ont rien déclaré du tout ! 

Mais la plupart des jeux sont en année calendaire, c’est à dire que les saisons démarrent en janvier et finissent en décembre. Les jeux sportifs (ex : FIFA) suivent quant à eux le modèle sportif qui va de septembre à août. Les communautés savent déjà quel est le rythme de leur saisonnalité et du coup, la loi dit qu’on peut nous-mêmes imposer un rythme de saisonnalité par rapport à un jeu. Si le club décide d’un rythme et qu’il le respecte, ça ne pose aucun problème à l’État. En soi, nous ne sommes pas dérangés par ça, c’est juste que cela paraît bizarre car Riot a déclaré son propre rythme.

Au final, on n’est pas gêné car quand tu regardes le modèle, de toute façon, on est sur des contrats annuels donc au minimum, on fait des contrats d’un an ou alors de fin de saison lorsque tu récupères un joueur pour terminer la saison. Ce rythme-là me convient, je ne vois pas quel club pourra dire qu’il veut des contrats de trois mois ou de demi-saison. 

Si les éditeurs ne veulent pas prendre la parole, ce n’est pas un problème. On s’est tous accordé sur CS:GO pour déterminer les mercatos, ça s’est créé naturellement avec la communauté. Il n’y a pas eu besoin d’un grand ordonnateur pour imposer quelque chose, ça existe déjà et ça répond au cahier des charges de l’État.

 

Afin d’avoir une vision juridique de la situation, nous avons rencontré Célian Godefroid, doctorant, dont le sujet de thèse est "Les contrats de l’esportif professionnel". L’objectif de sa thèse est de cerner les spécificités de l’esport et les pistes d’amélioration pour la sécurité juridique de l’esport. Cela permettrait d’avoir plus d’investisseurs pour les structures, sans crainte de redressement judiciaire au bout de quelques années d’existence. 

Que penses-tu du contrat esportif tel qu’il est issu de la loi de 2016 ?

Tout d’abord, ce contrat est une bonne chose pour plusieurs raisons.

Il y a la possibilité d’avoir des relations sécurisées et approuvées par l’Etat et de ne pas avoir la crainte d’un "bricolage juridique". Il est sécurisant. Concernant l’agrément, ça peut être par choix, par volonté d’avoir des moyens d’encadrement. L’agrément permet d’avancer un argument pour les investisseurs. Enfin, la manière dont il a été créée : dans la loi de 2016, les députés socialistes ont décidé de mettre plus d’articles sur les compétitions de jeux vidéo et le CDD esport. Certains politiciens sont proactifs sur la sécurisation juridique de l’esport. Afin de prendre une place plus importante, ça aurait pu être mieux préparé, ce n’est pas pour ça que les politiciens sont tous bien conseillés. 

Alors pourquoi le contrat ne fonctionne pas ? 

Il y a beaucoup de dirigeants de structures qui dénoncent la difficulté d’obtenir l’agrément. Par exemple, Alexandre Paul Mure, de Bastille Legacy, estime le coût à 350 000 euros par an pour mettre en place les conditions requises par l’agrément.


Bastille Legacy: Une ancienne équipe de LoL

Ensuite, il y a la problématique de coût, ce n’est pas possible pour des petites équipes de salarier cinq joueurs professionnels, un coach et le reste du staff avec toutes les cotisations sociales qu’entraine le CDD. Cela semble donc compliqué d’utiliser le contrat esportif pour les plus petites structures. 

Comment faire fonctionner ce contrat de travail ?

Il faudrait baisser les exigences pour obtenir l’agrément. Cette loi a un intérêt mais tout l’esport associatif est oublié, les politiques se sont concentrés sur les grosses ligues françaises. Le baromètre FranceEsports 2020 le montre et aujourd’hui, les professionnels ne représentent que 200 personnes en France alors que les joueurs amateurs sont beaucoup plus nombreux. Il faut se concerter avec les personnes du milieu pour aboutir à quelque chose. 

L’alternative aujourd’hui est le contrat d’entreprise entre le joueur micro-entrepreneur et la structure. Il faut que les conditions du contrat d’entreprise soient remplies afin d’éviter une potentielle requalification. Il pourrait y avoir dans le futur un contentieux entre les joueurs et leurs structures, même si cela n’est pas encore arrivé. 

Le CDD esport n’est pas l’esport. Le contrat esportif ne correspond à rien dans l’esport et ne fait pas partie de l’actualité de ce dernier.

La situation actuelle où les structures reviennent et/ou utilisent les contrats d’entreprises est-elle opportune ?

Selon moi, c’est un "bricolage juridique", c’est à dire qu’il y a l’utilisation d’outils juridiques qui ne sont pas appropriés et tout le monde croise les doigts pour qu’il n’y ait pas de procès. L’utilisation du contrat d’entreprise a permis le développement de l’esport jusqu’à aujourd’hui. 

Ce qu’on voit c’est que l’esport grandit vite. Là où en 2018, un joueur pouvait espérer gagner entre 400 et 800 euros par mois, il peut maintenant toucher autour de 6000 euros par mois. Ce "bricolage juridique", qui est donc une utilisation imparfaite, a servi pour permettre à tous les acteurs d’avoir confiance en l’écosystème. 

Les conditions pour qu’un contrat d’entreprise soit légal sont précises afin de lutter contre le salariat déguisé. Avec le contrat d’entreprise, les équipes autoriseraient le joueur à concourir pour d’autres équipes en même temps, elles se priveraient de leur droit de le sanctionner. On aurait des contrats plus courts.

Les joueurs s’investissent de plus en plus et veulent une carrière longue, il leur faut donc des cotisations chômage ou retraite. Le "bricolage" a été utile un temps mais c’est une situation imparfaite qui n’est pas sécurisante, même si les structures sont celles qui gagnent le plus dans cette histoire. Le contrat esportif a échoué à répondre à cette situation imparfaite. 

Le contrat esportif n’a pas permis d’aller de l’avant donc il n’y a pas de retour en arrière, car il est utilisé de manière marginale. En 2021, il y a seulement huit structures agréées alors qu’il y a une estimation de 200 joueurs professionnels en France. Cela est un aveu d’échec. Je suis persuadé de la bonne foi des structures mais elles ne peuvent pas utiliser ce CDD. Le risque est que la bulle éclate totalement et que les structures françaises fuient vers d’autres ligues, et que l’esport français mette du temps à s’en remettre. 

 

Enfin, le Député de Maine-et-Loire et président du groupe d’études sur les jeux vidéo et l’esport, Denis Masséglia, a répondu à certaines de nos questions dans une interview disponible sur notre chaîne YoutTube. Dans ce cadre, il a pu nous donner son avis sur cette loi qui a été votée avant son entrée en fonction.

Le contrat esportif a été adopté avec la loi "pour une République numérique" en 2016, aujourd’hui seulement 10 structures françaises ont reçu l’agrément. Pour vous, est-ce une réussite ? 

En effet, vous parlez de l’article 102 de la loi "Pour une République numérique" qui a été voté en 2016. Est-ce que c’est une réussite ? Je pense que d’un côté, c’est une réussite car c’est la première fois qu’il y a une loi sur l’esport en France et ça, je crois qu’il faut s’en féliciter. 

Néanmoins, le CDD spécifique tel qu’il est proposé ne répond pas aux attentes des structures. Ce que j’indiquais en 2019, c’est qu’il me semble nécessaire de construire un autre type de contrat de travail mais ça ne doit pas être à l’État ou le législateur, c’est à dire moi, d’imposer ma vision aux structures esportives, mais c’est aux structures esportives de réfléchir collectivement et de faire une proposition au législateur que je puisse porter. De mon côté, j’ai juste deux règles sur lesquelles je suis vigilant et qui sont pour moi des lignes rouges.

La première règle, c’est que ces contrats soient concurrentiels c’est-à-dire qu’on ne se retrouve pas avec des contrats qui ne permettraient pas aux structures françaises d’être compétitives par rapport à minima aux autres structures à l’échelle européenne. 

D’autre part, ce que je souhaite, c’est que le contrat soit protecteur pour les esportifs, c’est-à-dire que demain, si un esportif perd son métier, qu’il puisse avoir bien entendu le chômage ; s’il se blesse, qu’il puisse avoir la protection sociale ; et qu’il puisse aussi cotiser pour la retraite. 

Il me semble qu’il faut que ce soit protecteur pour le joueur mais aussi compétitif pour la compétition internationale. 

Extrait d'une interview à retrouver sur notre chaîne YouTube

D’ailleurs, les premiers agréments ont été délivrés en janvier 2018, il y a tout juste 3 ans. Sachant que ces agréments durent 3 ans, savez-vous si des structures dont l’agrément a expiré ont décidé de ne pas le renouveler ?

Je sais qu’il y a au moins une structure qui a décidé de le renouveler. Néanmoins, aujourd’hui, la question se pose de le renouveler puisque le CDD spécifique étant peu utilisé, beaucoup de structures n’y voient pas l’utilité. 

Encore une fois, c’est aux structures de réfléchir à quel type de contrat elles ont besoin, comment il faut le construire et après, çe sera donc à moi de m’en saisir et de pousser pour que ce soit passé dans le cadre d’un texte de loi. Mais je me le refuse car ce serait extrêmement facile pour moi de faire un texte de loi, mais si après ce n’est pas applicable, ça ne sert à rien. Je suis de ceux qui pensent que les propositions doivent venir du terrain, des personnes qui sont confrontées au quotidien à ces difficultés-là. Après, à moi de les mettre dans un cadre législatif.

Trop de cotisations pour les clubs, un agrément coûteux, une gestion difficile des cashprizes, un risque pour la scène française, l’article 102 de la loi du 7 octobre 2016 est un fiasco et peut même être considéré comme une complication pour le développement de l’esport en France. 

Face à cet échec, la question va être de savoir quel acteur de l'écosystème va réagir en premier et comment. Le législateur face à l’inaction des structures et des joueurs, ou ces derniers afin d’éviter une situation compliquée pour l’esport en France tout en faisant une croix sur un système lucratif ? Va-t-on avoir de simples modifications du CDD existant ou une refonte du micro-entreprenariat comme envisagé par Stéphan Euthine ? 

Les réponses ne se feront sûrement pas attendre longtemps car la scène se professionnalise de plus en plus et les montants en jeu ne font qu’augmenter. 

Comme dans un couple, une bonne communication devra avoir lieu entre les politiques et les écuries afin de faire naître une nouvelle relation contractuelle mariant la protection des joueurs et la volonté d’être concurrentiel. Mais il ne faut pas oublier que la moitié des mariages finissent en divorce. 

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