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Esport et écologie : connexion à établir

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En juillet 2022, Hyperluxe, un organisateur de tournois d’esport, annulait une compétition d’Apex Legends prévue en Europe en raison de la vague de chaleur touchant le Royaume-Uni. Le site Dot Esports, qui a relayé la nouvelle, expliquait que des membres britanniques du staff d’Hyperluxe craignaient que l’intense canicule, couplée à la chaleur dégagée par les ordinateurs, soit "légitimement dangereuse" pour les joueurs, au sein d’un pays où l’air conditionné n’est pas si répandu que ça chez les particuliers. "Même l’esport n’est pas à l’abri des effets du changement climatique", pointait alors Dot Esports

Si cette mésaventure peut sembler anecdotique, elle permet d’ouvrir la porte d’un sujet quasiment invisible : la thématique environnementale dans l’esport. Difficile pourtant de vouloir éviter la question écologique en 2022. Politiques, médias, entreprises, tout le monde s’empare, plus ou moins vite et plus ou moins pertinemment, de cette problématique devenue brûlante dans tous les sens du terme. Mais l’esport figure en bonne place parmi les domaines encore imperméables au climat, suivant les pas du sport traditionnel, loin d’être le premier à se remettre en question.

Plus occupés à atteindre la fameuse rentabilité promise depuis des années – dont on commence sérieusement à se demander si elle a encore du sens – et à courir derrière la "mainstreamisation" de leur activité, les acteurs de l’esport délaissent presque totalement les enjeux liés au réchauffement climatique. S’il n’est pas question ici de faire le procès du sport électronique, qui n’est pas le seul à ne pas se sentir concerné par cette cause, il semble tout de même pertinent de s’intéresser à ce sujet qui ne peut que prendre de l’ampleur, et de montrer qu'une multitude de pistes sont à explorer concernant la réduction de l'impact environnemental de l'esport.

Aux abonnés absents

"L’aspect environnemental n’est pas identifié comme un enjeu clé par les acteurs opérant dans le domaine de l’esport", assène un rapport de juin 2021 dédié au secteur, réalisé par Cepheïd Consulting et édité par la Direction générale des entreprises.

Quelques pages plus loin, lors de l’étude des pays concurrents, la sous-partie "environnement" est remplie de formules synonymes de vide : "pas de politiques environnementales spécifiquement dédiées au secteur" pour le Danemark ; "un enjeu étant identifié comme majeur ni par les équipes, ni par les organisateurs de compétitions" aux États-Unis ; "pas, à date, de discussions spécifiques à l’échelle nationale concernant l’impact écologique des activités des secteurs de l’esport et du jeu vidéo" du côté allemand ; "aucune initiative sectorielle en lien avec l’aspect environnemental" en Corée du Sud. Bref, le désert.

À l’heure où l’impact du changement climatique se fait de plus en plus pressant, l’esport semble ainsi évoluer à part, dans un monde déconnecté de cet enjeu, consumant son capital carbone comme si demain n’existait pas. Les compétitions aux quatre coins du monde ne s’arrêtent jamais, impliquant le déplacement de milliers de personnes (spectateurs, équipes, membres de l'organisation, etc.), l’utilisation d’une quantité de matériel informatique et d’énergie colossale, le tout débouchant sur une forte consommation de bande passante du côté des viewers sur les plateformes de diffusion (Twitch, YouTube). Les opérations d’investissement impliquent désormais des pays comme l’Arabie Saoudite, qui a mis la main sur ESL et FACEIT en janvier dernier, ou les Emirats Arabes Unis, partenaires de BLAST via le festival Abu Dhabi Gaming, donnant ainsi à l’écosystème Counter-Strike la belle couleur noirâtre du pétrole et des énergies fossiles.


Vive les mariés ?

Les projets de NFT – reposant sur les blockchains, dont beaucoup consomment une importante quantité d’électricité pour fonctionner – constituent également la nouvelle lubie de toutes les structures, après que celles-ci ont déjà abondamment pactisé avec le monde de la crypto via le sponsoring (Tezos pour Vitality, Crypto.com pour fnatic, FTX – c'est du passé – pour TSM, Bybit pour MIBR...).

Sur ce point, il est intéressant de souligner le cas de G2 : l’organisation d’origine espagnole a d’abord promis en 2021 des NFT "à l’impact environnemental réduit" grâce à un partenariat avec l’entreprise américaine Bondly, qui privilégie la blockchain Polygon (également prisée par fnatic pour ses NFT), moins énergivore. Et puis le temps a filé sans que rien ne se concrétise. Finalement, quelques mois plus tard, le fin mot de l’affaire est dévoilé : G2 et Bondly sont en bisbille au tribunal et les NFT "écolo" ne verront jamais le jour. Tant pis, l’écurie espagnole a relancé ses samouraïs virtuels en collaboration avec une autre entité, Metaplex, sans évoquer cette fois-ci le moindre aspect environnemental.

Au milieu de ces émissions de CO2 massives, les rares actions allant dans la bonne direction et relayées médiatiquement paraissent surtout symboliques. Depuis 2020, la structure américaine FlyQuest mène par exemple régulièrement des campagnes de dons à des associations de défense de l’environnement. Le montant versé varie selon les performances de ses équipes. En août 2021, c’était au tour de l’organisation britannique Guild Esports de faire parler d’elle en plantant un arbre pour chaque équivalent virtuel détruit dans Fortnite à l’occasion de son tournoi Gaming for Good Fortnite. "L’empreinte carbone de la compétition, causée par le matériel informatique et le streaming, devrait ainsi être compensée", promettait l’écurie.

Soulignons aussi les efforts de Cloud9, qui a mené son bilan carbone et publié un plan d’action environnemental en 2021. Une bonne idée qui trouve vite ses limites quand on s’aperçoit que les évolutions envisagées consistent à favoriser les ampoules à LED, privilégier la consommation électrique en heures creuses et utiliser du papier toilette biodégradable en bambou dans les locaux où évolue son équipe de LCS. Pour "regarder vers un avenir où l'empreinte carbone quotidienne de Cloud9 diminue chaque jour" avec ça, il va falloir se lever très tôt.

On peut également penser à la Global Esports Federation, qui a rejoint en mars 2021 la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques consacrée au sport. Mais quel réel impact a cette fédération quasiment inconnue de tous dans un secteur où les éditeurs, les organisateurs et les équipes font la loi, et où aucun organe global n’a jamais su émerger ?

Si ces initiatives semblent louables, leur impact demeure ridiculement mince et ne peut même pas cacher le fameux spectre du greenwashing – utiliser l’argument écologique de manière trompeuse. On découvre par exemple que FlyQuest profite de chacune de ses campagnes de dons pour proposer à ses fans une nouvelle collection de vêtements : il s’agirait de ne pas perdre le bon réflexe de la consommation à gogo, surtout avec 25 % de matière recyclée et une partie des bénéfices reversés à l'American Solar Energy Society, un organisme promouvant les énergies renouvelables aux États-Unis.


"Sauvez la planète en achetant notre tote bag en coton bio à seulement 34,99 dollars !"

Alors, esport et écologie, incompatibles ? Pas forcément. D’abord parce que, même si l’idée avance très doucement, elle commence à interroger. Le sujet a été abordé à l’occasion de l’ESI London 2022, un événement organisé par le média orienté business Esports Insider, à travers une table ronde sur la neutralité carbone. Du 21 au 23 novembre prochain, l’Esports Research Network Conference, dédiée à la recherche dans le monde de l’esport, est articulée autour de "l’esport durable dans une société numérique", avec un pan consacré à l’environnement. Une bonne manière de creuser des questions jusque-là quasiment absentes des débats.

Ensuite car, malgré leur faible voire inexistante communication à ce sujet, certains mastodontes du secteur ont senti qu’il devenait compliqué de totalement fermer les yeux sur un tel sujet. "Dans le monde contemporain, nous soutenons qu'il est impossible d'ignorer la crise écologique majeure à laquelle est confrontée la population mondiale. Les acteurs de l'esport ne doivent pas ignorer ce défi indéfiniment ; la croissance infinie du secteur devient alors un enjeu discutable", tonnent les auteurs – dont Nicolas Besombes, ancien vice-président de France Esports – de l’article "Current issues of sustainability in esports", paru en 2022, un des rares évoquant frontalement cette thématique. Leurs paroles ont été (un tout petit peu) entendues. Reste à savoir ce qui en découle.

 

La compensation carbone ne fera pas de miracles

Il est compliqué d’obtenir des informations sur la "stratégie écologique" des grands acteurs de l’esport. Nous en avons contacté plusieurs et seul Vitality nous a répondu par le biais de Thomas Zalay, en charge des relations presse : "Je vous remercie d'avoir pensé à nous pour aborder ce sujet crucial. Il me semble cependant que l'on ne possède pas assez d'éléments concrets pour avancer des conclusions ou des débats sur le sujet. Je ne souhaite pas faire du greenwashing ou parler dans le vent." Pas d’enfumage, mais pas non plus d’éléments spécifiques à se mettre sous la dent.

Lorsque l’on creuse davantage, on peut tomber sur le rapport de Riot concernant l’impact social de ses activités en 2021. 36 diapositives reviennent sur ses œuvres de charité, son fonds à impact social et d’autres éléments variés. Dans la partie dédiée à la soutenabilité, quatre pages se concentrent sur le changement climatique et la volonté de Riot de réduire ses émissions nocives. Mais tout est conjugué au futur dans des paragraphes plein de bonnes intentions, et une seule action concrète semble avoir été appliquée lors de l’année écoulée : compenser les émissions des "Rioters", les employés de l’entreprise, en s’associant à l’ONG Eden Reforestation Projects, spécialisée dans les projets de reforestation.

ESL a également pris le pli de la compensation. Calculant ses émissions de dioxyde de carbone depuis 2018, l’organisateur allemand de tournois se targuait fin 2021 d’avoir atteint la neutralité carbone, comme l’approuvait son "certificat de compensation volontaire" remis par les Nations Unies. Chaque année, ESL totalise donc ses émissions et fait vérifier ses calculs par Planted, une entité allemande qui plante des arbres. Pour compenser son empreinte carbone, le groupe finance ensuite de la reforestation et des projets liés aux énergies renouvelables.


Vive les mariés bis ?

"Bien sûr, alors que les émissions de carbone constituent un élément essentiel de l'équation, nous devons continuer à travailler plus largement pour réduire leur impact environnemental dans l'ensemble de l'activité – des déplacements au recyclage et à l'utilisation de ressources naturelles. Nous prenons très au sérieux notre rôle dans la construction d'un avenir plus durable pour les générations à venir. Il n’est pas question de cases à cocher, mais d'une stratégie holistique à long terme qui vise le cœur de l'entreprise." Ces mots sont signés Julia Hiltscher, responsable de la RSE (responsabilité sociétale des entreprises) chez ESL.

Cinq jours après leur publication, en janvier 2022, ESL (et FACEIT) était racheté par Savvy Gaming Group, une entreprise détenue par le Fonds public d'investissement d'Arabie Saoudite, pays plus connu pour son économie reposant très largement sur l’exploitation pétrolière que pour sa politique écologique poussée – et qui a bien compris l’intérêt de l’esport au sein de sa stratégie globale de soft power. Dès lors, difficile de ne pas voir dans le discours de Julia Hiltscher autre chose qu’une communication bien ficelée de la part d'ESL.

Mais mettons de côté ce dernier élément pour le moins dérangeant et revenons à nos histoires de compensation carbone. C’est donc la mécanique choisie par ESL, et dans une moindre mesure Riot, pour déployer leurs premières mesures environnementales. D’autres institutions se sont également tournées vers cette solution comme Betclic Apogee, une structure d’origine portugaise se vantant d’être la "première équipe esport neutre en carbone" : elle contrebalance ses émissions en investissant dans des technologies de capture du CO2.  

L’idée de la compensation, un système apparu dès les années 1980, est assez simple : lorsqu’une entité – entreprise, collectivité, particulier, etc. – émet des gaz à effet de serre du fait de sa consommation et de ses activités, elle peut compenser ces derniers en finançant en échange des initiatives visant à réduire les émissions humaines de CO2 et leurs effets : reforestation, protection de forêts en danger, développement d'infrastructures d’énergies renouvelables, etc. Cet apport financier doit avoir un caractère additionnel, c’est-à-dire que sans lui, l’initiative n’aurait pas pu exister. Sur le papier, tout est beau, et chacun peut fièrement afficher son certificat garantissant qu’il a compensé ses émissions et est donc "neutre en carbone".

Dans les faits, c’est un peu moins rose. D’abord, il est complexe de mesurer précisément l’impact d’un dispositif de compensation et "les promesses de réduction des émissions sont souvent surestimées", explique un article du Monde de 2019. Trois ans plus tôt, l’institut allemand de recherche sur l’environnement Oko-Institut dévoilait les résultats d’une analyse portant sur 5 655 projets de compensation carbone mis en œuvre dans le cadre du MDP (mécanisme de développement propre), un outil qui concerne les États et leurs entreprises. Bilan : 85 % des projets "avaient une 'faible probabilité' d’assurer les réductions d’émissions promises et l’additionnalité". En d’autres termes, dans 85 % des cas, on n’a probablement pas tout compensé et le projet écologique aurait sûrement existé sans nous. Bref, ça n’a pas tant servi que ça.

L’autre grand problème de la compensation, c’est qu’elle ne responsabilise pas vraiment ses partisans, pas plus qu’elle ne les incite à réduire leurs émissions. "Pas besoin de changer, j’ai mon partenaire qui plante des arbres à l’autre bout du monde pour compenser ce que je fais ici, tout va bien". En faisant oublier la baisse des émissions – "qui doit être privilégiée et mise en œuvre en priorité et au plus vite", rappelle l’Ademe (Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie) –, la compensation vend de la crème solaire en assurant que cela suffira. Et les entreprises peuvent poursuivre leur business sans se remettre davantage en question.


KC Green / Usbek & Rica, "La neutralité carbone est-elle une arnaque ?"

Pour Augustin Fragnière, chercheur et auteur de La Compensation carbone : illusion ou solution ?, interviewé par Le Monde, "les mots de 'compensation' et de 'neutralité carbone' devraient être abandonnés, en ce qu’ils trompent le consommateur sur le réel bénéfice que son financement aura sur son empreinte carbone : si les émissions sont un acte certain, tenter de les absorber ailleurs est soumis à tant d’incertitudes que rien ne garantit leur compensation, même partielle."

Il est donc dommageable que les acteurs majeurs de l'esport, qui ont pourtant identifié – du moins dans leur communication publique – la diminution de leurs émissions comme un levier environnemental majeur, ne s’attaquent concrètement à leur impact que sous un autre prisme, celui de la compensation carbone, une mécanique qui affiche de nombreuses limites. Le choix de cette première direction empêche le secteur de faire face plus rapidement à des défis autrement plus importants.

 

Quelles pistes de réflexion pour s’attaquer aux problèmes ?

Il n’existe que peu de pistes d’information sur les actions environnementales spécifiquement dédiées à l’esport. Il est toutefois possible de trouver des axes de réflexion émanant d’autres domaines pour les appliquer au sport électronique.

Dans leur rapport de 2021, Cepheïd Consulting et la Direction générale des entreprises (DGE) commencent par évoquer la production de biens électroniques (PC, périphériques, consoles, smartphones, et tout autre appareil utilisé dans le cadre de la pratique du jeu vidéo, et donc potentiellement de l’esport). Ce segment apparaît en amont du sport électronique et concerne les fabricants de produits. Ces derniers peuvent augmenter la durabilité des appareils afin de diminuer leur fréquence de renouvellement et l’impact de leur production, responsable de près de 80 % des émissions du numérique selon l’Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) et l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep).


L'empreinte environnementale du numérique (source : Novethic / Ademe, Arcep)

Du côté de l’esport, la question du matériel s’applique plutôt à son utilisation. Sur cet aspect, les jeux esportifs semblent bons élèves puisqu'ils ne nécessitent généralement pas des machines de guerre pour fournir un nombre de FPS suffisant, contrairement à d'autres titres récurrents qui inciteraient presque à augmenter les capacités de sa machine tous les deux ans afin d'en profiter pleinement.

Dans les événements professionnels, un organisateur qui réutilise les mêmes PC lors de différentes lans sera nécessairement plus vertueux qu’un autre qui en rachète de nouveaux à chaque compétition. Le recyclage poussé des appareils usagés grâce à une prise en charge efficace s’impose également comme une avancée.

La problématique des data centers est pointée du doigt par le même rapport. Sur cet aspect, sont concernés : les éditeurs de jeux vidéo, dont les serveurs disséminés aux quatre coins de la planète permettent à tous, amateurs comme professionnels, de jouer en réseau ; et les diffuseurs de contenu (Amazon avec Twitch, Google avec YouTube, etc.), qui offrent à des centaines de milliers de viewers la possibilité d’assister en direct à toutes les compétitions. Fin 2021, un article de Capital, qui indiquait que le parc mondial de data centers mangeait déjà plus d’électricité que la France entière, mettait en avant des voies à explorer pour optimiser cette consommation énergétique : systèmes de refroidissement pompant l’air extérieur et ajustant sa température plutôt que de créer des climatisations artificielles, réutilisation de la chaleur résiduelle émise, etc. La réduction du nombre de ces centres de données n'est cependant pas évoquée, bien qu'elle puisse apparaître comme la première solution évidente à exploiter.

La diffusion amène sur la table l’impact du streaming et fait entrer dans la balance le public. En privilégiant le 1080p – voire désormais le 4k lorsqu’il est proposé – pour voir au mieux les flicks de ZywOo, les spectateurs pèsent sur l’impact environnemental de l’esport : plus la qualité de l’image est élevée, plus les données vidéo stockées et diffusées sont lourdes, plus la quantité d’énergie nécessaire augmente. Le rapport édité par la DGE note bien que "la réduction de la qualité d’image des vidéos sur les plateformes dédiées" constitue un premier pas. Twitch & Co peuvent déjà aider le public à prendre conscience de cette solution en l’informant correctement, comme le fait par exemple la plateforme myCanal, qui indique dans les panneaux de réglages vidéo qu’une qualité moindre réduit l’empreinte carbone.

De manière plus radicale, il serait possible pour les organisateurs de compétitions de limiter volontairement la qualité disponible sur les flux officiels. Une pratique déjà expérimentée en Corée du Sud depuis septembre 2022 : ce n’est pas un organisateur mais Twitch Korea qui bride désormais la qualité de diffusion à 720p à la suite de changements législatifs ayant augmenté les coûts liés à sa consommation de bande passante. Pas sûr que l’écologie ait été le premier moteur dans cette décision, mais elle en ressort gagnante.

Favoriser le visionnage direct en jeu représente également une solution intéressante. Avec ses GOTV, Counter-Strike est déjà familier de ce système, qui permet notamment de regarder le Major en direct – et même avec les commentaires en anglais intégrés lors des premières éditions, option supprimée depuis mais sûrement reproductible – sans passer par une plateforme de diffusion externe. D'autres questions apparaissent alors (quid des viewers ne possédant pas le jeu et souhaitant tout de même regarder ? le mode spectateur des autres jeux ne possédant pas de dispositif équivalent aux GOTV peut-il être adapté à un tel fonctionnement ?), mais des systèmes sont à imaginer en ce sens afin de réduire l'impact du streaming.


L'exemple de myCanal : ce n'est qu'indicatif,
mais transmettre l'information est une première étape essentielle

L’événementiel, à travers l’organisation de tournois de taille variée à travers le monde, nécessitant de conséquents déplacements de marchandises et de personnes, représente un autre pan majeur de l’esport actuel. Dans son Plan de transformation de l’économie française paru début 2022, The Shift Project, un think tank français centré sur la décarbonation de l’économie, consacre un chapitre au secteur culturel, dont une partie dédiée à l’impact de ses événements. Une manifestation esportive peut facilement être comparée à un festival ou à un concert : des milliers de personnes se regroupent durant quelques heures ou jours dans un lieu donné pour assister à un spectacle ou une performance.

The Shift Project souligne la multitude des sources d’émission générées par de tels rendez-vous : mobilité des intervenants et des spectateurs, alimentation sur place, fonctionnement des salles et du matériel... Une fois de plus, des alternatives peuvent être testées pour minimiser les effets environnementaux de ces manifestations. Il s’agit globalement d’en organiser moins (et donc, par rebond, d’accepter une probable résurgence des affrontements en ligne si l’on veut voir toujours autant de matchs), de réduire les jauges de spectateurs, et de mieux penser leur répartition pour ne pas enchaîner trois allers-retours Europe-Amérique en un mois.

Ici, la scène League of Legends paraît bien plus avancée que celle de CS:GO, avec des ligues régionales se déroulant même parfois en un lieu précis (Berlin pour l’Europe), ce qui limite les déplacements des joueurs, la majorité des équipes étant établie sur place durant plusieurs mois. Les compétitions d’envergure supérieure, regroupant des formations provenant du monde entier, existent toujours mais en nombre réduit : elles sont d’autant plus valorisées et attendues. Point noir, leur déroulement est éparpillé dans plusieurs villes selon le stade de la compétition (Mexico, New York, Atlanta et San Francisco dans l'exemple des Worlds 2022), ce qui induit des transferts logistiques évitables si tout avait lieu au même endroit.

De là à dire que le modèle de franchise régionale de Riot doit être adopté sur Counter-Strike, il y a un très grand pas que nous ne franchirons pas pour de multiples raisons, mais les organisateurs actifs sur CS:GO devraient tout de même s’interroger sur leurs pratiques. Les saisons 15 et 16 d’ESL Pro League, disputées à Düsseldorf (Allemagne) et Naxxar (Malte), constituent peut-être des exemples à suivre : tout a lieu au même endroit durant un mois, ce qui limite les flux comparé à une période de compétition "standard" où trois tournois auraient pu se dérouler sur trois continents différents en quatre semaines. Pour cette dernière saison maltaise, la volonté d’ESL de garder sa production à Katowice, si elle est d’abord motivée par des raisons économiques, se révèle aussi bénéfique sur le plan environnemental en limitant le staff et le matériel à envoyer sur place, même si un tel dispositif a malheureusement mené à une qualité de production moindre et de multiples problèmes techniques.

Sur cet aspect événementiel, la gestion des déplacements du public s’avère également cruciale. Privilégier des lieux facilement accessibles en train ou faciliter la mise en place du covoiturage pour les spectateurs constituent des principes à prendre en compte pour les organisateurs afin de réduire l’impact de leurs projets.


L'exemple des émissions d'un festival selon The Shift Project, et l'impact potentiel des mesures mises en place
(cliquez pour agrandir ; le rapport complet est disponible ici)

Selon le rapport de la Direction générale des entreprises et de Cepheïd Consulting, France Esports sensibilisait à ces thématiques environnementales dans son "Guide de l'organisateur", disponible sur son site. Les versions actuellement en ligne ne semblent toutefois plus mentionner ces points. Selon nos informations, une partie sur l'écologie était initialement bien prévue dans ce guide, mais n'a finalement jamais été concrétisée.

L'association prévoit également de publier une enquête sur l'empreinte carbone de la Gamers Assembly 2022. Sur son site, dans les informations concernant l'accès à la lan, la GA incitait ses visiteurs à opter pour le "cotrainage", via la plateforme AllonsBonTrain, afin de réduire leur empreinte carbone. France Esports n'est cependant pas encore passée à l'acte concernant cette publication. Contactée par nos soins à ce sujet, l'organisation ne nous a pas répondus.

En revanche, fin mai dernier, elle était présente dans un voyage en Arabie Saoudite initié par le Medef International, branche internationale du syndicat patronal français. Désiré Koussawo et Romain Sombret, président et vice-président de France Esports, ont fait le déplacement. "Au programme : rencontres avec les ministères saoudiens de l’investissement, de la culture et du tourisme, déjeuner avec les chambres de commerce, échanges avec l’Autorité générale pour le divertissement et cocktail en compagnie des entreprises du secteur", relate Le Monde, qui note aussi que Désiré Koussawo et Romain Sombret sont restés discrets sur cette sortie, ne la mentionnant ni sur leurs réseaux sociaux ni dans les médias.

Si, en soi, un tel voyage ne prouve rien, si ce n'est que l'Arabie Saoudite continue de placer ses pions dans l'écosystème esportif international, il interroge sur le positionnement de France Esports et de ses membres, et sur leur potentielle volonté de développer leurs relations avec l'un des pays symboles de l'énergie fossile – entre autres choses.

Enfin, pour en revenir aux solutions à explorer, l’esport regroupe une multitude d’entreprises susceptibles de mettre en place des actions sans aucun lien avec leur secteur d’activité. Clubs, organisateurs, associations, tous peuvent essayer de limiter les déplacements physiques de leurs employés ou, en cas de nécessité, préférer des moyens de transport peu polluants ; réduire leur consommation d’énergie, que ce soit en isolant mieux leurs locaux ou en limitant le renouvellement de leurs appareils électroniques ; favoriser le recyclage de ces mêmes appareils lorsqu'ils arrivent définitivement en fin de vie, etc.

Le merchandising mériterait également d’être abordé – en dehors des NFT –, l’esport étant un fameux pourvoyeur de maillots, vêtements divers et autres accessoires dont les conséquences de fabrication puis de recyclage ne semblent pour l'instant pas être la priorité.


Ça sent la fin pour les casquettes VaKarM

 

Agir pour ne pas (trop) subir

Il est naïf de penser que l’esport va changer du jour au lendemain et devenir un moteur de la lutte contre le réchauffement climatique, surtout au vu de ses récents développements, particulièrement sur la scène Counter-Strike. Mais il est tout aussi naïf de croire que le secteur ne devra réaliser aucun effort environnemental à l’avenir et qu’un "les plus pollueurs n’ont qu’à se bouger en premier" suffira. Or, la prise de conscience du milieu semble encore si faible, pour ne pas dire inexistante, qu’il y a de quoi s’inquiéter. Si la société dans son ensemble n’est pas prête à vivre une transition, le sport électronique se situe parmi les domaines qui n’ont même pas encore découvert l’ampleur des changements susceptibles de les affecter. Et à qui cela pourrait faire tout drôle en cas de restrictions subies ou d'impacts inattendus mais bien réels.

Le premier enjeu pour s’attaquer à ce sujet semble donc aussi simple que complexe : il s’agit de mettre l’écologie sur la table de l’esport, de la faire exister dans ce cadre. Que les organisateurs de tournois, clubs, diffuseurs, éditeurs, pouvoirs publics, joueurs, consommateurs, associations et médias sachent que oui, le sport électronique va bien être affecté par les changements sociétaux en cours, qu’il le veuille ou non. Et que s’y préparer constitue la meilleure réponse possible. En prenant d’abord connaissance de ces questionnements, puis en s’informant et en se formant – auprès de cabinets spécialisés, d'experts, d'associations, etc. – pour savoir comment y répondre, avant de mettre en place des actions concrètes et de les expliquer afin que les mentalités évoluent en même temps que les comportements. Dans ce marathon, réaliser son bilan carbone ne constitue que l'échauffement.

Le but n’est pas de retourner dans des gymnases, à jouer dans le noir devant trois spectateurs debout devant une TV cathodique. Ce n'est pas non plus de considérer la période Covid, entièrement en ligne sans événement physique, comme la nouvelle norme, parce que l'esport se vit véritablement en lan et qu'il serait très triste d'avoir un sport électronique existant seulement à distance. Tout l'enjeu est de trouver le juste équilibre qui aboutira à un esport soutenable, et forcément plus sain qu'à l'heure actuelle. Le chemin pour évoluer dans un monde aux contraintes énergétiques et environnementales renforcées est à imaginer, et l'esport semble encore avoir les clés pour tracer lui-même sa route. Mais pour combien de temps ?


Le jour où il pleuvra sur Dust2, c'est qu'il sera trop tard pour changer les choses

Au-delà de l’aspect idéologique, deux arguments pourraient séduire les plus réticents à opérer ce virage. Le premier, c’est celui de la maturité : un secteur qui se remet lui-même en question et change ses pratiques sans attendre la pression réglementaire qui finira par arriver, c’est un secteur conscient des enjeux qui l’entourent et du futur qui l’attend. Au moment où l’esport cherche à gagner la confiance des pouvoirs publics et à se légitimer en tant que discipline à part entière dans l’écosystème du divertissement, cela peut s'avérer pertinent.

Le second, c’est celui de l’acceptabilité sociale. Pour que le sport électronique perpétue sa démocratisation, si chère à beaucoup de businessmen très confiants pour l’avenir du secteur, il faut qu’il bénéficie d’une image attrayante aux yeux d’un public toujours plus large. Mais si demain, alors que chacun doit avoir un peu plus froid l’hiver et partir un peu moins loin en vacances, l’esport continue d’envoyer ses joueurs à l’autre bout du monde deux fois par mois pour aller disputer quatre Bo3, quelle image renverra-t-il ? A-t-on vraiment envie qu'il soit considéré comme "hors-sol", comme le sport est en train de le devenir avec ses compétitions lunaires – Jeux asiatiques d’hiver 2029 en Arabie Saoudite – et ses polémiques de plus en plus récurrentes, entre un Kylian Mbappé incapable de prendre le train et des joueurs de golf qui continuent de vouloir arroser leur green à tout prix ? Pour peu qu’elle évite le greenwashing, l’écologie constitue aujourd'hui un argument marketing puissant, capable, si ce n'est de conquérir un nouveau public, au moins de ne pas perdre l'actuel.

Parce qu’ils englobent une multitude d’implications, les enjeux environnementaux se révèlent très complexes. Personne n’est d’accord sur la stratégie à adopter ; personne ne sait non plus où cela nous mènera. Le monde de demain est un mystère. L’esport peut continuer de faire comme si de rien n’était, y avancer les yeux fermés et croiser béatement les doigts pour passer à travers les gouttes, quitte à y sacrifier son éthique – ou le peu qu’il en reste – et son image. Ou remonter ses manches et s’attaquer sérieusement à la question écologique avant que celle-ci ne l’affecte sans lui demander son avis, ce qui ne sera agréable pour personne.

Merci à SekYo et à Dorian pour les retours, ainsi qu'à Elnum pour la bannière.

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