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Blog de la rédac : Loser bracket, reviens !

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Si le coronavirus et les matchs en ligne ont fait un heureux, c'est bien le loser bracket. Délaissé depuis quelques années dans les play-offs des lans de haut niveau sur CS:GO, il a profité de cette période particulière pour regagner le cœur des organisateurs et s'inviter à nouveau dans les phases finales des tournois regroupant les meilleurs.

Ces derniers mois, en Europe, l'ESL One Road to Rio, la DH Masters Spring, les Finales BLAST Premier Spring et le cs_summit #6, quatre compétitions majeures ayant eu lieu sur Internet, proposaient un loser bracket dans l'arbre final. Pour donner un ordre de comparaison, sur toute l'année 2019, seuls 2 tournois à plus de 250 000 $ de cashprize en avaient mis un en place pour leur dernière phase, la StarLadder i-League S8 et les Finales mondiales BLAST. Sur ces dernières, le constat peut même être nuancé étant donné qu'il n'y avait que quatre équipes en lice : le loser bracket a donc surtout servi à ne pas vendre des finales avec seulement 3 matchs.

Il y a plusieurs années, ce format était pourtant bien plus répandu. La Copenhagen Games, qui a longtemps été un rendez-vous phare du calendrier, y était fidèle, de même que les Finales ESEA, qui ont souvent mis en jeu les cashprizes les plus élevés derrière les Majors. Si l'on remonte encore un peu plus dans le temps, durant les années 2000, les CPL ont largement exploité cette manière de faire, lors d'immenses double brackets pouvant rassembler jusqu'à 32 équipes. Sur CS:Source, le tableau des perdants était aussi souvent en vigueur, au point d'inverser la norme actuelle et de transformer en exceptions les quelques lans qui n'en possédaient pas.


Un beau loser bracket, ça a quand même de la gueule, non ? Ici, celui de la DSRack #3, en 2010, par Liquipedia
(cliquez pour agrandir)

Alors, pourquoi une telle disparition au fil des ans ? La raison la plus logique semble résider dans deux paramètres : la logistique des lans de plus en plus complexe d'un côté, la professionnalisation des équipes de l'autre. Les deux sont liées à la même cause de base, à savoir qu'un loser bracket, c'est long.

Prenez un arbre avec huit équipes : sans loser bracket, comptez 7 matchs pour en venir à bout (quatre quarts de finale + deux demi-finales + une finale) ; avec loser bracket, il vous en faudra le double, 14 (les sept de base + six autres dans le loser bracket + la grande finale). Lorsque vous êtes un organisateur, est-il plus facile de faire rentrer 7 matchs dans un planning ou 14 ? La question elle est vite répondue. Un loser bracket, c'est deux fois plus de matchs à organiser, à gérer, à diffuser, à caster, donc deux fois plus de travail pour le personnel ou deux fois plus de personnel nécessaire. À l'heure où les productions ne cessent de gagner en qualité et cherchent à tout prix à éviter le retard ou le moindre problème technique, renoncer au loser bracket, c'est diminuer les risques qu'un couac arrive.

En parallèle, les équipes se professionnalisent et deviennent plus exigeantes quant aux conditions de jeu de leurs protégés en lan. Plus question de jouer trois Bo3 par jour ou de finir à 2h du matin parce qu'il fallait disputer un match de loser bracket à 23h. Quand en petite lan française, tout le monde vient d'abord pour jouer et prendre du plaisir, quitte à finir tard dans la nuit, chez les pros, la problématique n'est pas la même. En théorie, moins de matchs égal moins de fatigue, moins de lassitude, une récupération plus efficace, et donc des performances meilleures. Bref, organisateurs comme équipes, tout le monde y gagne.


La grande finale de la CPH Games 2013 avait débuté après 3h du matin, le temps de jouer tout le loser bracket...
Impensable aujourd'hui

Pendant la crise du coronavirus, cet équilibre a quelque peu été remis en cause. Tout se déroulant en ligne, les organisateurs ont pu réduire la pression. Pas d'arène à aménager, pas de mise en scène, pas de joueurs ni de public à gérer sur place. Pour grossir le trait, sur Internet, il suffit d'un planning correct en amont, d'un serveur prêt quand il le faut et d'une communication adéquate avec les équipes et le staff technique pour lancer un match. Les membres d'ESL et autres BLAST se sont évidemment démenés pour offrir une production digne du haut niveau, mais reste que l'organisation globale a dû être facilitée. D'où la possibilité de refaire appel au loser bracket pour présenter plus de contenu et ainsi compenser la disparition des lans.

Ces heures supplémentaires de diffusion ont également pu constituer un argument pour satisfaire des sponsors sans doute déçus de ne plus être affichés en lan. Pas de panique, pour contrebalancer, vous le serez deux fois plus en ligne.

Dans cette histoire, les joueurs ont été un peu oubliés. Confinés chez eux, ils n'avaient apparemment pas grand-chose d'autre à faire que de jouer, selon les organisateurs, donc autant qu'ils enchaînent les matchs, et tant pis s'ils fatiguent et que la qualité du jeu en pâtit. Ce qui a par exemple amené Vitality à jouer deux Bo3 en 7h lors des Finales BLAST Premier Spring, losqu'il a fallu enchaîner FaZe Clan en loser bracket puis Complexity en grande finale le même jour.

7 heures de match par jour, "it's pretty bullshit" : apEX pas ravi après la fin des Finales BLAST Premier Spring

La reprise des lans, un jour espérons, sonnera sans doute la fin de ces situations dommageables. Les plannings devraient à nouveau être dans les mêmes clous qu'avant la crise, avec généralement un match par jour pour chaque équipe, ou peut-être plus mais avec une réelle pause au milieu. Pour le loser bracket, cela devrait également clore cette éphémère phase de renaissance.

Et ce serait un peu dommage. Parce qu'avoir un loser bracket de temps en temps, dans de bonnes conditions, c'est quand même bien sympa.

Pour avoir une deuxième chance, après s'être fait sortir au premier tour des play-offs parce que le tirage au sort vous a fait tomber contre Astralis.

Pour le spectacle et les belles histoires, les remontées incroyables dans le tableau inférieur, les retours de nulle part dignes de Team-LDLC à la DSRack #3 en 2010, miraculeuse quatrième après avoir touché du doigt le top 17/24 ; de Western Wolves à la CPH Games 2013, vainqueur de cinq rencontres d'affilée en loser pour aller chercher la médaille d'argent ; de FURIA lors de la récente StarLadder i-League S8, qui aurait été éliminée dès les poules dans n'importe quelle autre compétition mais a ici décroché un top 3 final grâce à son abnégation dans le loser ; ou encore d'Awsomniac, qualifiée pour la DH Tours 2015 après avoir réalisé trois exploits dans le bracket de la dernière chance.


Pas favoris contre melty, beGenius et LDLC Blue, les Awsomniac ont pourtant battu les trois en loser bracket pour gagner
le droit d'affronter fnatic dans le tournoi officiel

Pour retrouver la peur du vide. Historiquement, un loser bracket a lieu en Bo1. Une deuxième chance, certes, mais avec une pression constante, la peur au ventre qui enserre chaque pistol round, le side de départ qui devient plus important que jamais, la sensation que tout peut se finir dans 30 minutes, pour les acteurs du match comme pour les spectateurs. Le loser bracket est un monde à part, une zone de transition entre la survie et l'élimination, les limbes de la compétition. Y survivre plus de deux ou trois tours est compliqué. En sortir vivant après tant d'efforts est homérique.

Pour la variété des formats, ne plus avoir toujours les mêmes arbres finaux faisant disparaître la moitié des participants à chaque tour. Et pour pouvoir également transformer les phases de poules, en offrant par exemple des places en winner ou en loser bracket selon les résultats, et non plus une simple équation binaire éliminé/pas éliminé.

Pour prendre à nouveau le temps, tout simplement. Au vu des progrès qu'a connus la scène, du niveau d'exigence mis en place par les organisateurs et attendu par les équipes, proposer un loser bracket aujourd'hui équivaudrait forcément à rallonger les tournois – il n'est plus question de finir au petit matin. Et ainsi à casser cet enchaînement infernal de compétitions. Ne plus rusher chacune d'entre elles parce que la prochaine commence deux jours plus tard à l'autre bout du monde.


Selon ALEX, Vitality a été sur la route durant 36 semaines en 2019... Et si on se posait un peu plus ?

Est-ce qu'il vaut mieux trois tournois de haute envergure en un mois, où l'on a déjà oublié le premier quand le troisième commence, ou un seul tournoi plus long mais plus complet, posé, qui prend le temps d'exploiter entièrement son potentiel et n'est pas juste un parmi tant d'autres ? Un loser bracket en Bo1, comme "à l'origine", permettrait même de limiter l'allongement des jours de lan, si les organisateurs ne veulent pas doubler d'un coup le temps dédié à l'arbre final, ce qui s'avère compréhensible. Et puis quelques Bo1 en loser, pour des équipes ayant déjà passé des poules ou une ronde suisse et qui ont auparavant joué un premier match en play-offs, cela casserait la monotonie des Bo3 sans pour autant nuire à l'intégrité compétitive.

Reste à régler la question de la grande finale. Pour beaucoup, l'équipe provenant du winner bracket doit posséder un avantage vis-à-vis de celle arrivant du loser bracket, puisque la première a atteint ce stade sans perdre. L'enjeu est de savoir quel avantage. Une map d'avance en Bo3 ? Trop gros, la finale risque de se terminer au bout d'une carte. Une map d'avance en Bo5 ? Plus juste, chacun devant gagner au moins deux cartes pour l'emporter. Ça a été le système privilégié récemment en ligne. Un veto préférentiel ? Pourquoi pas si l'on veut à tout prix rester sur du Bo3, mais il faut trouver la bonne formule pour que l'avantage reste significatif : on peut par exemple imaginer que l'équipe du winner bracket va choisir les deux premières cartes de l'affrontement, ou bien aura droit à deux bans au lieu d'un.

Certains pensent au contraire qu'une grande finale, ça se joue toujours à égalité. Le fait que l'équipe du loser bracket ait déjà dû disputer au moins un match supplémentaire et soit donc plus fatiguée, ou ait potentiellement dévoilé plus de secrets de son jeu, peut déjà être considéré comme un handicap suffisant. Il faudra expérimenter toutes ces situations pour trouver laquelle fait consensus entre joueurs et organisateurs.

Il ne s'agit pas, d'un coup, de mettre du loser bracket partout, à toutes les sauces. Peut-être que les Majors, les plus prestigieux rendez-vous, ne s'y prêtent pas – encore que les fans de DotA2 pourraient répliquer que The International, tout comme la majorité des compétitions du MOBA de Valve, se déroule depuis toujours avec un loser bracket, et que cela n'entache nullement sa réputation d'événement esport le plus coté du monde. Peut-être qu'à certains moments, l'interdiction de perdre pour poursuivre l'aventure doit être maintenue.


Team Liquid avait remporté The International 7 après une folle remontée du loser bracket.
La même chose est-elle susceptible d'arriver un jour lors d'un Major CS:GO ?

Il est simplement question de rouvrir son esprit aux possibilités du loser bracket. Durant le confinement, ce sont souvent ses défauts qui ont sauté aux yeux : c'est long, ça crée parfois des rencontres peu attrayantes, ça peut donner deux fois la même affiche en deux jours... Derrière ces inconvénients, décuplés par le manque d'intérêt des matchs sur Internet, la volonté des organisateurs de compenser à tout prix l'absence des lans en bourrant les plannings, et le manque de considération qu'ont subi les joueurs, se cachent des aspects positifs qui peuvent manquer à la scène actuelle.

Il est temps de donner au loser bracket une nouvelle chance en lan. Pas n'importe comment. Pas à chaque tournoi, pas toutes les semaines. Pas pour surcharger encore des calendriers déjà pleins à craquer. Au contraire. Pour inciter à ralentir, à prendre son temps, à faire moins de compétitions mais à profiter davantage de chaque. Et admirer comme ça peut être bien, une scène compétitive qui ne se presse pas en permanence.

Merci à Dorian et SekYo pour les retours, et à Elnum pour la bannière

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