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2020, un casse-tête mémoriel

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Plus aucune lan, des millions de dollars distribués sur Internet, une scène qui remonte le temps et se remet à cumuler les matchs en ligne jusqu'à l'écœurement. Personne n'aurait pu prédire le scénario de 2020. Il est possible de se dire que des événements économiques ou structurels vont arriver un jour et fortement impacter l'écosystème CS:GO : un organisateur majeur qui se casse la gueule, l'arrivée d'un nouvel acteur qui bouscule le marché, Valve qui décide de changer certaines règles... Mais une pandémie mondiale, ce n'était écrit nulle part. C'est pourtant ce qui s'est passé. On l'a vécu. Mais se souviendra-t-on vraiment de tout ? Et, surtout, comment s'en souviendra-t-on ?

Les résultats de cette année, par exemple. L'esport a compris depuis longtemps que les seules performances qui comptaient réellement étaient celles réalisées en lan, quand les dix joueurs sur le serveur sont séparés par seulement quelques mètres, quand le public hurle ou s'amasse derrière les PC, quand chaque émotion est décuplée. Sur Internet, tout devient plus fade. Plus terne. Valve a repoussé encore et encore son Major pour qu'il se tienne en lan, on ne sait toujours pas quand, et heureusement. Quelle place aurait eu dans l'histoire le vainqueur du seul Major qui se serait tenu sur Internet ?

Il n'y a toutefois pas que le Major qui compte. Heroic a gagné l'ESL One Cologne et c'est très bien joué de sa part, mais quel crédit accorder à la version numérique d'un événement aussi prestigieux habituellement ? BIG a réalisé une belle année ponctuée de jolies performances, mais sa réputation de reine du web empêche de se dire qu'elle aurait fait tout aussi bien en temps normal. Internet répand un filtre sur les résultats, comme s'ils ne comptaient pas autant, ne pouvaient pas vraiment être pris au sérieux. Quand il s'agit de quelques tournois ou qualifications de-ci de-là, ce n'est pas si grave. Mais sur une saison entière, comment fait-on ? Le top 20 individuel de HLTV, maintenu malgré l'absence de lans, n'échappera pas non plus à cette interrogation. Il sera là... mais ce ne sera pas pareil.

cadiaN qui célèbre la victoire à l'ESL One Cologne... Comment faire pour comparer ça à la Lanxess Arena ?

Et encore, s'il n'y avait que ça. Les résultats ne constituent que la partie émergée de l'iceberg mémoriel. Que fait-on de tous les scandales de l'année engendrés par ce climat si particulier, provoqué par les matchs en ligne et leur démultiplication ?

Voudra-t-on vraiment se souvenir du bug du coach, utilisé par des dizaines de coachs professionnels, qui a rappelé l'éthique douteuse d'un nombre non négligeable de personnalités de la scène, ainsi que les défauts techniques toujours omniprésents dans un des jeux majeurs de l'esport, pourtant sorti il y a maintenant plus de huit ans ?

Voudra-t-on vraiment se souvenir du streamsniping en pagaille, utilisé tellement souvent par des coachs ou joueurs sans aucune gêne que l'ESIC n'a pu sanctionner personne, faute de quoi il aurait fallu bannir des équipes entières et décimer le top monde ?

Voudra-t-on vraiment se souvenir de la charge mentale qui a poussé plusieurs joueurs au burn-out, dépités par des tournois redondants qui ne cessaient de s'enchaîner sans que plus personne ne sache lequel valait mieux qu'un autre ? À jouer d'abord pour satisfaire les sponsors, alimenter la concurrence féroce que se livrent les organisateurs, et dégager un début de rentabilité dans un milieu qui ne semble pas vouloir remettre en cause ses dépenses, on en a oublié que les joueurs n'étaient ni des robots ni des vaches à lait.


Le départ de chez Vitality d'ALEX, en mars, avait été un premier avertissement :
certains joueurs n'arrivent plus à tenir le rythme trop intense de la scène

Voudra-t-on vraiment se souvenir des déboires de la CSPPA, organisation censée défendre les joueurs mais désavouée un peu plus chaque jour, parfois par les principaux concernés eux-mêmes, tant ses actions semblent floues, peu coordonnées et obéissant à une logique dictée par des intérêts obscurs, défendus par des acteurs qui n'ont, à la base, pas grand-chose à voir avec l'esport ?

Ces problématiques n'étaient pas nécessairement nouvelles. Le bug du coach existe depuis plusieurs années – même s'il n'a été rendu public qu'en septembre. Le streamsniping aussi. La surcharge des tournois avait déjà commencé à faire parler d'elle auparavant. La CSPPA pose question quasiment depuis sa création. Mais 2020 les a exacerbées. Le passage en ligne a agi comme un accélérateur. Ces questionnements sont devenus dérangeants, néfastes. Ils ont révélé ce que la scène avait de plus mauvais en elle.

Il serait plus simple de tout oublier, de se dire que l'année écoulée n'a pas réellement existé, qu'on a simplement continué pour ne pas tout arrêter, mais que ça ne comptait pas vraiment.

Sauf qu'on ne peut pas faire ça. Au moins par respect pour les joueurs et coachs qui n'ont rien à se reprocher et qui ont enduré des mois de compétition chez eux, sans pouvoir checker leurs coéquipiers à la fin de chaque round ni être motivés par une foule en furie. Et puis pas uniquement pour ça. Il est tentant de balancer 2020 à la poubelle, mais certaines choses méritent d'échapper à la benne à ordures.

Prenons l'apparition des équipes à six joueurs tournant entre chaque map. Est-on au début d'une nouvelle révolution sur Counter-Strike ? Des line-up à six, le passé en avait déjà connu, mais aucune n'avait été pensée de cette manière. Désormais, personne n'est remplaçant en permanence : le cinq titulaire change simplement selon la carte. Vitality l'a lancé avec brio, Na'Vi a suivi le mouvement, Astralis s'y est mis également. Les trois meilleures équipes du monde qui adoptent ce système, ce n'est sans doute pas une simple coïncidence. Rien n'indique que ce fonctionnement deviendra majoritaire ou normé. Déjà réticente à laisser plus de place aux coachs, Valve n'est sûrement pas très chaude pour un sixième joueur. Mais le débat est lancé et l'absence des lans, qui a grandement facilité l'implantation de cette nouveauté, n'y est pas pour rien.


Une annonce du cinq de départ avant un match... Un procédé appelé à devenir courant ?

Et puis, il y a tous les mouvements de troupes qui ont écumé l'année. misutaaa chez Vitality, rejoint peu de temps après par Nivera. NiKo chez G2. Le départ pour Valorant de ScreaM. La retraite d'Ex6TenZ, qui a depuis rallié son compatriote sur le jeu de Riot. L'émergence de Grim, mantuu, Bymas ou sh1ro, des jeunes qui ne sont pas posés la question d'Internet ou non et ont simplement tout donné pour montrer qu'ils incarnaient l'avenir de CS. On ne peut pas faire table rase de ça. Ces actualités ont existé et influencent largement la scène telle qu'elle apparaît aujourd'hui.

Le travail de mémoire sur 2020 va s'avérer très particulier. D'un côté, il y a des résultats qui garderont peu de valeur lorsque les lans reprendront. De l'autre, il y a des incidents et des dramas qui n'auraient jamais existé sans une délocalisation complète sur le net et dont on préfèrerait donc minimiser l'existence, mais qui ne doivent pourtant pas disparaître pour que l'on n'oublie pas que le pire n'est jamais loin. Et au milieu, il y a tout de même eu de belles histoires, des recrutements glorieux, une scène qui évolue, bref, des événements plutôt classiques qui auraient parfaitement leur place dans les livres d'histoire.

Il faudra se souvenir de tout, mais pas n'importe comment. Ne rien oublier, parce que la saison a été dense, mais ne pas non plus surestimer, car tout s'est passé en ligne. L'année passée n'aura jamais la saveur des autres, mais elle n'est pas complètement insipide pour autant.

Ce ne sera sans doute pas évident, ni à raconter ni à faire comprendre. C'est cependant crucial pour que 2020 ne soit pas considérée comme une année standard pour la compétition sur CS:GO mais bien comme une saison particulière, aux enseignements plus variés que d'habitude, qui devront être tirés par tous si l'on souhaite parvenir à garder du positif de ce qui a été, dans l'ensemble, un sacré binz.

Merci à Elnum pour la bannière

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