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Une grève historique

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Depuis maintenant plusieurs années, l'Hexagone est devenue une terre de manifestations et de grèves en tout genre. Que l'on soit d'accord ou pas avec les diverses revendications, force est de constater que ces termes jalonnent désormais nos vies. Dans l'esport cependant, les sujets de politiques endémiques sont souvent tabous ou, en tout cas, éloignés des préoccupations de la grande majorité des fans venus sur Twitch supporter leur équipe préférée.

Ce sont justement ces spectateurs qui sont restés dans l'incompréhension, mardi dernier, lorsqu'ils ont été contraints de patienter près de deux heures avant que le quart de finale des Finales de BLAST Premier Fall entre Vitality et mousesports ne débute enfin. Ces dizaines de miliers de personnes laissées dans l'expectative ont été les témoins sans doute stupéfaits de la première grève de l'histoire de CS:GO. Rien que ça.

Surpris, ces téléspectateurs n'ont pas été les seuls. Tous les acteurs de l'écosystème esportif, des écuries au directeur même de BLAST, l'ont été tout autant face à une initiative pionnière menée par des joueurs professionnels. Un passage peut-être anecdotique pour certains mais qui a le mérite de dévoiler certains mécanismes structurant aujourd'hui les coulisses du circuit compétitif. Une petite analyse s'impose.

À l'origine de cette grève inédite, un plan à trois non désiré

Aujourd'hui, Valve ne semble guère motivé à s'investir davantage sur la scène compétitive de son jeu le plus populaire. Le champ est ainsi laissé libre, comme c'est le cas d'ailleurs depuis plus de vingt ans, à trois acteurs principaux possédant chacun des intérêts potentiellement différents :

  • Les joueurs
  • Les écuries (Vitality, G2 Esports, Team Liquid...)
  • Les organisateurs de tournois (TO) (BLAST, ESL...)

En l'absence de l'autorité paternelle que pourrait afficher l'éditeur de Counter-Strike, Valve, à l'instar d'un Riot Games avec Valorant par exemple, l'organisation du calendrier et du circuit repose sur ces trois pôles.

Si mardi après-midi, les joueurs ont décidé de manifester leur mécontentement en ne rejoignant pas la partie avant deux bonnes heures, il s'agit en fait du résultat d'un quiproquo ayant mis en tension certains rapports de force dont nous allons tâcher d'expliquer les tenants et aboutissants.


Une grève inédite

Un point sur la chronologie

D'abord, un point sur la chronologie des faits. Durant la saison régulière de BLAST Premier Fall s'étant déroulée entre octobre et novembre dernier, la régie de BLAST avait accès aux webcams des joueurs, chez eux ou en bootcamp, mais surtout à leur TeamSpeak. Le tout en temps réel durant les matchs officiels, l'objectif étant de pouvoir diffuser certaines séquences à la suite d'un round digne d'intérêt.

Visiblement, ces quelques secondes diffusées ici ou là n'ont pas vraiment plu aux joueurs. Ces derniers sont dans leur grande majorité adhérents d'un syndicat de joueurs professionnels fondé en 2018, la Counter-Strike Profesionnal Players Association (CSPPA). C'est par son intermédiaire qu'un communiqué a été publié ce mardi 8 décembre sur les coups de 16h.

Les joueurs souhaitent interdire l'accès aux serveurs vocaux et refusent d'enregistrer leur écran comme il leur a été demandé (sans doute pour contrer d'éventuelles tricheries). Les raisons évoquées soulignent l'absence de garantie quant à l'utilisation de ces enregistrements contenant à la fois des stratégies bien sûr mais aussi peut-être des informations personnelles ou sensibles. En effet, BLAST est allé plus loin que la diffusion de simples cris de joie. Certains rounds ont ainsi été analysés par les commentateurs à l'aide de la communication des joueurs, seulement quelques minutes après avoir été diffusés en direct. Le tout sans l'aval des concernés.

C'est vers 19h00, ce mardi 8 décembre, que le match Vitality - mousesports a finalement démarré. À la fin de la rencontre, Nicolas Estrup, l'un des responsables chez BLAST, a pris la parole sur le stream et a simplement rappelé dans une courte allocution la bonne foi de l'organisateur quant à l'utilisation de ces enregistrements.


Un contenu qui marche mais à quel prix ?

L'histoire aurait pu s'arrêter-là et sans doute tomber dans l'oubli très rapidement mais c'était sans compter la contre-offensive des écuries. Jusque-là non citées, les structures engagées dans le circuit BLAST ont chacune publié un même communiqué à 18h45 sur leurs propres réseaux sociaux. Volant à la rescousse de BLAST, elles s'en sont pris directement à la CSPPA, et donc par extension à leurs propres joueurs, rappelant que la problématique des enregistrements aurait été réglée avec BLAST dès le 23 novembre dernier.

Depuis, les matchs se déroulent sans accroc. BLAST enregistre bel et bien les communications des joueurs mais ne les diffuse plus.

Que se passe-t-il ?

BLAST n'a pas été le premier TO à vouloir ajouter cette plus-value non négligeable à sa diffusion et, à chaque fois déjà, certaines voix chez les joueurs se sont élevées, repoussant la plupart du temps les futures initiatives similaires. Néanmoins, BLAST, qui par ailleurs est membre de l'Esports Integrity Commission ayant recommandé aux TO d'enregistrer la communication des joueurs lors des matchs et de les sauvegarder pendant au moins 90 jours afin de détecter de potentiels cas de "stream-sniping", était bien décidé à utiliser ces enregistrements à des fins divertissantes.

Les écuries participantes au circuit BLAST ont signé un contrat avec l'organisateur. Onze d'entre elles sont d'ailleurs partenaires de ce dernier, c'est-à-dire qu'elles possèdent une relation privilégiée avec BLAST, sont invitées en priorité aux événements BLAST et bénéficient d'un partage des revenus générés par ces derniers. Tout cela sans doute en échange de leur participation obligatoire, potentiellement aux dépens d'une compétition concurrente.

Lorsque les écuries affirment que la problématique des enregistrements vocaux a été réglée avec BLAST un beau jour de novembre, il s'agit en fait de conditions acceptées par l'ensemble des écuries lors d'un conseil où seuls les CEO se réunissent avec les organisateurs pour discuter de prochaines marches à suivre. Des réunions dans lesquelles ne sont pas conviés les joueurs. Pourquoi ? Car BLAST considère que les joueurs, ayant signé des contrats avec leurs structures, sont donc représentés par ces dernières. Par conséquent, quand BLAST signe un contrat avec une écurie, les joueurs de cette dernière sont également compris dans la négociation.

À l'instar de nombreux couples, c'est souvent la communication qui pose problème et il semblerait que cette grève ait été le fruit d'un manque de communication entre les structures et leurs propres joueurs quant aux termes du contrat liant les écuries à BLAST. Vous suivez ?


Réunion de la CSPPA

Une histoire de muscles ?

La passe d'armes entre la CSPPA et les organisations a rappelé de manière assez spectaculaire que les intérêts des uns n'étaient pas forcément ceux des autres. La publication des communiqués des écuries a non seulement été impressionnante mais a également fait couler beaucoup d'encre. Et les projecteurs ont rapidement été braqués sur le rôle de la CSPPA, un syndicat devenu ennemi numéro un des dirigeants d'écuries.

Si cette grève de deux heures semble a priori être une jolie démonstration de force de la part de la CSPPA, cette dernière peine à convaincre l'ensemble des acteurs. Nous avions déjà évoqué ses zones d'ombres dans une longue entrevue en trois parties avec Nathan "NBK" Schmitt, l'un des sept joueurs du conseil de la CSPPA. Son manque de transparence manifeste (nous ne savons même pas le nombre exact d'adhérents), ses conflits d'intérêts et son inaction vis-à-vis d'autres problèmatiques n'ont notamment pas été épargnés par les dirigeants des structures.

La publication de la licence liant les joueurs à la CSPPA a également fait beaucoup de bruit, certains y voyant la preuve des intentions commerciales d'un syndicat n'ayant pourtant cessé de rappeler son ambition non-lucrative. La CSPPA n'a pas réfuté la validité des termes tout en assurant que tout était calqué sur le sport professionnel.

Si la CSPPA voulait montrer ses muscles, alors elle sera sans doute déçue du résultat. L'association revendique plus de 300 membres, soit potentiellement tous les joueurs des 60 meilleures équipes du monde, mais combien d'entre eux se sentent réellement solidaires de ce projet ? Durant cette journée de mercredi, plusieurs joueurs, dont l'Ukrainien Oleksandr "s1mple" Kostyliev, ont exprimé publiquement leur méfiance vis-à-vis de la CSPPA.

Tout le monde semble s'accorder sur un point : les enregistrements des serveurs TeamSpeak et/ou les enregistrements des écrans des joueurs doivent être régulés de manière beaucoup plus encadrée. À la fois pour être en conformité avec la législation, en l'occurrence européenne, en matière de protection des données, mais aussi pour éviter un quelconque partage d'informations douteux à des acteurs tiers.

Néanmoins, la CSPPA est désormais victime de ses propres démons et sa crédibilité a, plus que jamais, pris un coup dans l'aile au sein de l'opinion publique. Même lorsque les demandes des joueurs semblent justifiées, l'exécution laisse à désirer et pourrait même s'avérer presque contre-productive. À moins d'un travail de fond sur sa communication interne et externe ou encore son système de gouvernance, nous avons du mal à voir comment les choses pourraient aller en s'arrangeant. Un syndicat incompris est un syndicat d'ores et déjà condamné.

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