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La course au Major déjà entâchée ?

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C’est peu dire que le cycle du Major 2021 revêt une importance capitale pour CS:GO. Le jeu sort d’une annus horribilis qui aura vu se succéder l’explosion de Valorant, les polémiques sur le calendrier surchargé, la quasi-disparition de la scène nord-américaine, l’affaire du coaching bug et la gangrène des matchs truqués dans le second tier de la scène.

De l’avis de la plupart des suiveurs, CS:GO est à un carrefour de son histoire, et le Major devrait jouer un rôle décisif : attendu comme le Messie, un échec de celui-ci pourrait bien sceller le sort de notre jeu favori face à des concurrents toujours plus populaires et ravis de voir un écosystème qui se saborde chaque jour un peu plus. Malheureusement, les premiers RMR n’incitent pas à l’optimisme. 

NiP - Anonymo, le rematch de la disgrâce

L’une des grandes attractions du RMR européen, organisé par Flashpoint, devait être la première apparition de device sous ses nouvelles couleurs. Annoncé en grande pompe, le transfert de celui que beaucoup considèrent comme le meilleur joueur de l’histoire de CS:GO était sur toutes les lèvres avant l’ouverture du tournoi. À la surprise du changement s’étaient ajoutées des vidéos postées par NiP où l'on entendait le Danois expliquer que sa nouvelle structure était très en avance sur Astralis en termes d’encadrement et de préparation, rajoutant un peu de sel à l’ensemble.

Pour son premier match, NiP affrontait une des équipes supposées les plus faibles du tournoi, les Anonymo de Snax, passés par la qualification ouverte pour en arriver là. Ce qui n’aurait dû être qu’une formalité pour les Suédois et un échauffement pour device déboucha sur un drama comme notre scène les adore. À 1-1 sur la première carte, les Ninjas se plaignent de packet loss de 30 à 40 %, rendant impossible la tenue du match de leur côté. Après une très longue pause technique, le match reprend, NiP écrase Anonymo sur Overpass avant de perdre les deux cartes suivantes, à la stupeur générale.

La suite est chaotique : tout le monde y va de sa réclamation, de son message sur Twitter, le CEO de NiP s’active en coulisses pour faire pression sur Flashpoint et finit par obtenir un rematch de la dernière carte, chose extrêmement rare sur CS. NiP l’emporte à l’arraché sur Mirage mais de nombreuses questions subsistent : pourquoi ne pas avoir simplement retardé le match originel ? À partir de quel "seuil" de problèmes techniques une équipe est-elle en droit de demander un rematch, a fortiori à l’ère du CS online ? Les petits Anonymo auraient-ils obtenu un rematch si les rôles avaient été inversés ? Pourquoi, dans un univers qui se professionnalise chaque jour un peu plus, accepte-t-on encore que les joueurs et les équipes continuent de prendre le public à partie sur Twitter pour faire avancer leurs revendications auprès des organisateurs en cas de conflit comme celui-ci ?

On pensait alors que cette affaire serait l’apogée des problèmes connus pour ces RMR, et que la suite serait plus tranquille. Naïfs que nous étions.

Epic League CIS : l'événement le plus prometteur

Plus que jamais, cette édition du RMR CIS était entourée d’une aura de prestige. En effet, depuis le début de l’année, les équipes de l’Est dominent outrageusement la scène internationale, s’offrant le luxe de placer six équipes dans le top 20 HLTV au moment où ces lignes sont écrites. Chacune de ces équipes arrivait avec une histoire qui rendait le scénario du RMR particulièrement excitant à suivre : un statut de meilleure équipe du monde à confirmer pour Gambit, NAVI qui sortait d’une énorme performance à la DreamHack Masters Spring, Virtus.pro qui devait se relancer après un creux ou encore Spirit, forZe et Entropiq qui ne demandaient qu’à confirmer leurs belles promesses.

L’histoire était d’autant plus belle que dès la phase de ronde suisse, une équipe a déjoué tous les pronostics : Akuma. Après une défaite inaugurale contre Gambit, les Ukrainiens, récents vainqueurs du NumberOne, disposent de GROND, 1WIN et K23 pour se hisser facilement en playoffs. Une jolie performance, que l’on imagine se finir rapidement en 1/4 de finale, où ils affrontent l’ogre NAVI.

Contre Akuma, s1mple a connu sa pire carte depuis qu'il a rejoint Na'Vi (stats : HLTV).

Sauf que non, Akuma explose NAVI 16-02 / 16-10, avant de mettre le même tarif à Virtus.pro en demi-finale, 16-09 / 16-06. SENSEi marche sur l’eau, les Ukrainiens font tous les bons calls, et on se demande jusqu’où va le réservoir de talents de cette scène qui, depuis six mois, nous sort deux teams excitantes par mois. Alors Akuma, la belle histoire qui pourrait faire rentrer cette compétition dans la légende ? Pas exactement.

L'anomalie Akuma

Rapidement, plusieurs joueurs se plaignent de l’organisation du tournoi et du non-respect de règles devenues basiques à l’heure du CS en ligne. Premier point grave, aucun délai n’est mis en place sur les GOTV. Certains joueurs racontent même que le mot de passe du serveur circule rapidement et que, pendant leurs matchs, ils voient se connecter des spectateurs aléatoires avec des pseudonymes chinois. Lorsqu’on connait à la fois l’importance que peut avoir l’accès aux scores en direct dans les scandales de paris truqués et la proéminence des marchés asiatiques dans ces pratiques, on imagine sans mal les zones d’ombre créées par ce problème.

Second point, aucune procédure permettant de prévenir la triche n’était en place : aucun anti-cheat supplémentaire n’était exigé pour jouer (que ce soit FACEIT ou ESEA), les Teamspeak des équipes n’étaient pas enregistrés et les joueurs n’avaient pas obligation d’enregistrer leurs démos. Alors qu’Akuma enchaînait les performances incroyables et les calls parfaits, impossible pour leurs adversaires ou les administrateurs de s’assurer que tout ça était fait dans les règles de l’art. Un aspect d’autant plus problématique que de nombreux spectateurs ont ensuite analysé les facecams des joueurs ukrainiens pendant ces matchs, et ont rapidement remarqué leur tendance à beaucoup regarder leur radar. Genre, beaucoup. Probablement trop même.


Sergiz aime beaucoup regarder son radar quand il n'a plus d'équipiers et qu'aucun bruit n'est produit à côté de lui

Certains parlent déjà de radarhack, d’autres évoquent la possibilité de deuxièmes écrans avec la GOTV en live dessus. Les accusations volent mais, faute de procédures régulières mises en place par l’organisateur, il est impossible de confirmer quoique ce soit. Ce qu’on remarque, c’est qu’à la suite des accusations et de la publication de nombreux clips douteux, Akuma a réaffronté Virtus.pro et s’est fait corriger en deux cartes, ressemblant plus à un mix FACEIT qu’à une équipe capable de fesser NAVI. L'équipe qui avait perforé NAVI et VP quelques jours auparavant (respectivement 19 et 17 rounds inscrits en terro) ne cumulera plus que 4 maigres rounds d'attaque contre les coéquipiers de Jame.

Vous aussi vous regardez votre radar quand vous décalez un 1v2 ?

Comme pour parachever le tout, Parimatch, partenaire majeur de la compétition, a depuis décidé de rembourser l’intégralité des paris posés sur les matchs remportés par Akuma contre Na’Vi et VP. Quelle générosité, décidément.

EPICENTER : amateurisme ou malveillance ?

Si "l’affaire Akuma" fut probablement le problème le plus grave de ce RMR CIS, d’autres points viennent appuyer l’amateurisme absolu d’EPICENTER dans l’organisation du tournoi. Ainsi, les joueurs qualifiés pour la grande finale ont-ils appris, quelques heures avant leur match, qu’ils allaient jouer un bo5, au lieu d’un bo3. Changement de dernière minute oblige, l’horaire du match fut maintenu à 20h heure locale, une gabegie lorsqu’on sait que les bo5 peuvent facilement durer plus de 6 heures en comptant toutes les pauses.

Autre anecdote, aucun match pour la 5ème place n’était prévu à la base, alors que tout le monde sait désormais que chaque place compte pour l’obtention des précieux points RMR. Dans un premier temps, un horaire fut entendu avec NAVI et Entropiq, avant que ces dernières refusent de jouer juste avant le match. EPICENTER s’est alors tournée vers Valve, qui a annoncé que si les équipes ne voulaient pas jouer, elles perdraient tous leurs points. Face à ce coup de pression, Entropiq change son fusil d’épaule mais NAVI persiste et ne veut toujours pas jouer. Valve décide alors que, dans ce cas, Entropiq bénéficiera d’une victoire par forfait et des points du cinquième alors que NAVI se verrait exclue du tournoi et ses points retirés. Ce n’est qu’après ça que NAVI accepte de jouer ce dernier match, programmé deux jours après la grande finale.

Ce qui ressort de tels moments, c’est l’impression de cacophonie et d’amateurisme total de l’organisateur, dont les capacités apparaissent totalement déconnectées des exigences du cycle Major dans une période de CS online. De fait, si la responsabilité d’EPICENTER est largement engagée, le rôle de Valve doit aussi être posé.

Après tout, c’est bien l’éditeur américain qui attribue les RMR et le Major aux différents organisateurs. Pour 2021, le signal envoyé est pour l’instant clair : Valve veut aider à la diversité du circuit en privilégiant des acteurs qui ne sont pas ESL et BLAST. Flashpoint en Europe, Beyond the Summit en Amérique du Nord et EPICENTER dans la région CIS et en Océanie, les ouailles de Gabe ont privilégié les organisateurs alternatifs aux deux mastodontes de notre scène. De même, le Major de Stockholm sera organisé par PGL, qui a déjà fait ses preuves sur DotA 2. Si l’idée derrière cette stratégie, à savoir lutter contre le monopole d’un ou deux organisateurs, est tout à fait louable, l’exécution laisse à désirer.

Conflits d'intérêts multiples, milliardaires russes douteux, ESforce n'est pas très éthique army.

Au-delà des ratés de Flashpoint, dont le stream n’était pas exempt de tout reproche non plus, le cas EPICENTER est le plus épineux. En effet, connaissant le contexte russe et la prévalence de la corruption dans la patrie de Poutine, on peut légitimement se demander où se termine l’amateurisme et où commence la malveillance. Si le rasoir d’Ockam nous enjoint d’attribuer l’absence d’anticheat, de contrôle des Teamspeak et de délai sur la GOTV à l’incompétence pure, une vision plus cynique ne peut s’empêcher de penser que tout cela n’est pas nécessairement le fruit du hasard sur un jeu dont on sait maintenant qu’il est gangréné par les paris illégaux. Une position cynique renforcée par le fait que, visiblement, ni EPICENTER, ni Valve ne semblent gênés par le fait qu’un organisateur partage le même actionnaire majoritaire (ESForce) qu’une des équipes participant à son tournoi (Virtus.pro).

Dans l’état actuel de son écosystème et de la scène esportive en général, CS:GO ne peut pas se permettre ce genre de choses. La crédibilité du jeu, déjà largement entamée par les scandales récents et l’ère online, repose presque entièrement sur la réussite du cycle Major 2021. 

 

Une réussite, et on pourrait voir une renaissance inespérée, avec un niveau compétitif inédit, une scène américaine qui se restructure par le bas et le maintien de CS parmi les deux ou trois plus gros jeux de l’esport en ligne. Un échec, par contre, serait dramatique. Si CS ne mourrait pas entièrement, parce que le jeu reste légendaire, il ne serait pas impossible de le voir reléguer au second rang de l’esport. Impossible vous dites ?

Regardez pourtant l’exemple du jeu majeur de l’esport à la bascule des années 2010, Starcraft 2. N°1 incontesté pendant plusieurs années, héritier en ligne directe du mythique Broodwar, Starcraft 2 a progressivement disparu de l’avant-scène, grevé par des scandales de triche, une monétisation absente malgré des salaires qui explosaient et un éditeur totalement à côté de la plaque dans la gestion de sa scène et les évolutions apportées à son jeu. Ça vous rappelle quelque chose ? 

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