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Blog de la rédac : Pourquoi CS n'a pas besoin d'un The International

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Ou pourquoi nous devrions arrêter de prêter tant d'attention au montant des récompenses. Ainsi, chaque année, à peu près à la même période, le même sujet revient. Valve et son Compodium pour Dota2 établit un nouveau record de cashprize pour son tournoi phare, et, mécaniquement, sur twitter, reddit ou sur les forums, une palanquée de sujets font leur apparition pour réclamer un évènement similaire sur CSGO.

Mais prenons quelques instants de réflexion. Au delà des montants en jeu, astronomiques pour un jeu vidéo (18 millions de dollars pour l'édition 2015 de The International) avons-nous vraiment besoin d'une telle construction pour CSGO ?

Avant toute chose, il convient de rappeler quelques principes de The International. La compétition de Valve se distingue ainsi principalement par son mode de financement, basé sur le financement participatif (crowdfunding). Après avoir injecté une somme de départ (1,6 millions de dollars pour TI 2015), Valve propose aux joueurs d'acheter un pass, le Compendium. Ce pass, moyennant 9.99 $ (le marketing n'est jamais loin), vous permet de récupérer un certain nombre d'objets ou de bonus pour Dota2. Et 25% du prix d'achat va directement augmenter le prize pool de la compétition. Cette compétition a lieu une fois par an et, cette année, a rassemblé 16 équipes, les vainqueurs empochant plus de 6,5 millions de dollars.


Il est vrai que  le KeyArena de Seattle propose un superbe écrin à la compétition de Valve

Première constatation : le pourcentage reversé au cashprize étant connu, il est facile d'estimer la part que prend Valve dans l'opération : 75%, soit la coquette somme de ... 54 millions de dollars (sans compter le reste des produits dérivés). Les 1,6 millions de cashprize initiaux investis sont largement rentabilisés, même en y ajoutant l'organisation de la compétition. Certes, Valve étant une entreprise commerciale, il est normal pour elle de chercher à faire des bénéfices... Mais on parle ici de la part du lion.

Deuxième constat, ce modèle économique ne vous semble-t-il pas étrange ? Vous, joueurs, spectateurs, payez pour donner encore plus d'argent à une poignée de joueurs qui sont maintenant correctement rémunérés pour jouer. Parce que ne nous y trompons pas, la pyramide des gains de TI est sans appel : les 4 premières équipes, soit 20 joueurs, se partagent 71% de ce cashprize. Pensez-vous vraiment que le fait que les joueurs s'affrontaient pour 6,6 millions de dollars au lieu d'un million de dollars comme pour les LCS 2014 sur LoL par exemple, a permis d'obtenir de plus beaux matchs, voire un plus beau spectacle ?

Même si elle a connu des débuts plus modestes, ici en 2012

Si tant est que vous teniez à financer directement les revenus des progamers, ne pensez-vous pas que cet argent serait plus utile s'il était réparti sur l'ensemble de la scène, toute l'année, notamment en partie chez les joueurs du subtop,  plutôt qu'en "one shot" pour 20 joueurs ? Pour créer une scène plus variée, plus stable, plus durable, avec de la visibilité à long terme pour les tops players, et pas une carrière dont le prochain tournoi majeur est prévu au maximum 6 mois plus tard ? Seriez-vous prêts à interrompre vos études ou votre travail pour une carrière dont la visibilité est si faible ? Dont les revenus ne sont au final "garantis" que pour les prochains mois ? (et encore, sous réserve d'être performant).

Troisième constat, on le voit bien avec TI, ce système place l'ensemble de la scène sous le contrôle total de Valve. Alors oui, il existe bien d'autres tournois sur Dota2, mais l'écart de revenu est colossal entre TI et les tournois suivants. Or on a déjà remarqué qu'avec les Majors, Valve était déterminé à influencer de façon importante nos compétitions : introduction de cobblestone et overpass, Bo1 systématique en poule, système de veto semi aléatoire. Avec des résultats plus ou moins heureux. Souhaite-t-on vraiment accroître encore plus la dépendance, et donc l'influence, de Valve sur la scène, déjà colossale de par sa position d'éditeur ?

Dernier point, vous êtes un certain nombre à réduire les majors à leur cashprize de 250 000 $. C'est fallacieux de comparer uniquement le cashprize des majors avec The International, tournoi crowdfoundé. Dans ce cas, il faut inclure la partie "crowdfounding" des majors, au début via les caisses eSport, maintenant via les stickers. En prenant cette variable en compte, Katowice représente un tournoi à 1,75 millions de dollars. Certes c'est toujours loin des 18 millions de TI, mais c'est beaucoup moins ridicule que les 250k. Alors oui, on pourrait souhaiter une meilleure répartition de ces ressources, qu'une part plus importante aille directement dans le cashprize pour encourager un peu plus les bonnes équipes et un peu moins celles ayant une grosse fanbase. Mais nul besoin d'un The International pour ça.

Que de chemin parcouru pour CSGO en à peine deux ans (photo Helena Kristiansson)

Pour quel bénéfice ? A nouveau, une fois atteint un salaire correct permettant aux joueurs d'en vivre dans de bonnes conditions, je doute que l'accumulation de millions dans l'escarcelle de quelques joueurs améliore significativement notre scène et l'intérêt des matchs.

L'argument récurrent qui revient chez les supporter d'un The International pour CSGO est l'exposition médiatique qu'un tel événement procure, notamment dans les médias plus "mainstream", ce qui permettrait de toucher un public plus varié et "casual". Mais je pense que cet argument ne tient pas. Ce qui fascine et intéresse les grands médias, c'est les records battus, que ce soit de spectateurs pour LoL, ou de cashprize pour Dota2. Mais une fois qu'un record est tombé, plus personne ne se souvient des suivants. Près de 3 500 journalistes étaient accrédités pour Apollo 11 et pour le premier pas de l'homme sur la Lune. A peine un an plus tard aucune télévision n'avait prévu de direct pour Apollo 13. Considérant que le nombre de joueurs de CSGO est toujours bien moindre que celui de Dota2, les chances de battre le record de TI 2015 sont infimes. Partant de là, beaucoup surestiment probablement les retombées qu'auraient un tel événement.

Ce qui ferait augmenter notre base de joueur, qui pourrait convertir des casual en mordu de la scène, c'est une réelle couverture d'une compétition majeure. Mais il n'y a pas de corrélation entre le montant des récompenses et la couverture médiatique des évènements : les mondiaux de natation, qui viennent de s'achever, ont bénéficié d'une retransmission mondiale et pourtant la FINA ne prévoit "que" 2,5 millions de dollars à distribuer.

Pire que ça, personne n'évoque les possibles effets de bord d'un tel modèle. Que ce soit en cas de succès ou d'échec, une telle compétition aurait probablement des conséquences sur l'écosystème de la scène qu'il est difficile d'anticiper : en cas de succès, il va déséquilibrer le rapport de force entre les différentes compétitions; le chamboulement qu'on a connu avec l'arrivée de l'ESL ESEA League serait minime en comparaison et il est fort probable que de nombreuses organisations ne pourraient pas s'aligner. Et en cas d'échec, si le montant récolté est faible, le signal envoyé aux sponsors serait particulièrement négatif.

Et dans quelques heures ce même stade sera, on l'espère, rempli de passionnés de Counter-Strike

En outre, on voit déjà sur CS qu'en dehors des Majors, deux à trois fois par an, il devient difficile de rassembler la majorité des top teams. Au vu du nombre de tournois en cours, il est de plus en plus courant pour les meilleures équipes de sélectionner les compétitions. Ce phénomène serait probablement encore aggravé avec une compétition du type International. Au final, on risque surtout de retrouver la majorité des tops teams à un seul et unique évènement par an au lieu de pratiquement un tous les trimestres comme actuellement. Il y a un côté paradoxal à vouloir un TI pour améliorer la scène, puisque cela pourrait avoir pour conséquence de réduire le nombre de matchs intéressants par an. Valve semble être du même avis puisqu'ils ont annoncé une refonte partielle du circuit pour Dota2 en 2016, avec l'introduction de 3 Majors en plus du tournoi principal.

S'il est certain qu'il faille faire évoluer le modèle des Majors sur CS, qui n'a pas réellement changé depuis la DreamHack Winter 2013, stickers mis à part, il n'est pas garanti que la seule évolution possible soit un The International. Ainsi, lurppis, à la fin d'un récent article sur e-frag propose par exemple une alternative intéressante, sans a priori les inconvénients du format de Dota2.

Enfin, cette obsession du cashprize de Dota2 pose une autre question, plus fondamentale, sur le regard qu'on porte sur notre jeu et ce qu'on veut que les gens retiennent de Counter Strike. Souhaite-t-on vraiment que le grand public ne connaisse CS que pour son avalanche de millions de dollars ou de spectateurs ? Ce qui rend le foot inoubliable, c'est des actions comme le but de Maradona contre l'Angleterre en 1986, pas les quelques centaines de milliers de dollars qu'il a remporté lors de cette Coupe du Monde. Tous ceux qui l'ont vu à l'époque se souviennent de l'anti defuse de coL.tr1p, du superbe 1vs4 de ScreaM, ou de la tentative de ninja defuse de SpawN. C'est pour ces actions que je veux me souvenir de Counter Strike.

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